Réflexion trente-huit (23 août 2010)
La loi, le droit ...
Je n'aborderais pas cette réflexion du point de vue judiciaire, mais du point de vue humain. Dans notre vie de tous les jours, nous nous trouvons souvent confrontés aux droits des uns et des autres, et à ce que nous considérons comme étant notre droit. L'endroit le plus emblématique de ce concept de droit, l'endroit que j'ai déjà décrit, que je considère comme le plus fortement encradré par la loi, c'est la circulation automobile. Accessoirement, c'est aussi l'un des marqueurs du passage à la vie adulte, le droit (toujours le «droit») de conduire seul un véhicule automobile.
Prendre son véhicule automobile, s'insérer dans la circulation automobile au sortir de son domicile, c'est d'une certaine façon s'insérer après la nuit dans la société. Parfois, dans nos hivers si long, c'est un peu comme rejoindre la civilisation, la vie, après la solitude d'un réveil trop matinal. La conduite automobile est toute entière constituée de droits, de propriétés, et d'obligations de s'arrêter ou de laisser passer les autres. Mais plus largement, notre vie toute entière se trouve confrontée au principe des droits des uns et des autres et de leur télescopage avec nos propres droits.
Il y a deux possibilités de faire face à cet état de fait, au télescopage de nos droits avec ceux des autres, de nos droits et les devoirs des autres, des droits des autres et de nos devoirs : soit brandir nos droits comme un porte-étendard et attendre impatiemment, sans aucune tolérance vis-à-vis des autres qu'ils remplissent leurs devoirs, comme nous remplissons les nôtres vis-à-vis d'eux ... soit considérer à chaque fois comme non acquis que les autres respectent nos droits et par conséquent se réjouir à chaque fois que nos droits sont respectés par les autres, en considérant cela comme un cadeau ...
Cette dernière solution ferait de nous des sages, ce que je ne suis pas. Comme réagir face à quelqu'un qui ne respecterait pas notre droit ? Dans la première optique, l'absence de tolérance nous fera réagir par l'agressivité ou par la rage intériorisée et par voie de conséquence difficilement communicable ... On se trouve dans cette situation conduit à douter perpétuellement du respect par les autres de nos droits, en considérant l'accomplissement par les autres de leurs devoirs à notre égard comme un dû ... Mais ce cas n'est guère différent de la situation inverse qui repose sur le fait de considérer comme non acquis le respect de nos droits et comme un cadeau leur respect ... La seule chose qui compte et qui différencie ces deux optiques, c'est l'état d'esprit dans lequel on appréhende le respect de nos droits, comme un dû dont la réalisation nous insatisfait, mais le défaut de réalisation nous exaspère, ou comme un cadeau dont l'octroi nous réjouit et le défaut de réalisation ne nous émouvoit en aucune façon.
Une telle approche peut-elle s'appliquer à l'ensemble de notre vie ? Vraisemblablement, mais dans ce dernier cas, nous serions des sages, des êtres trop parfaits pour être humains ! Faut-il tendre vers une telle réalisation, vers une telle appréhension de la vie ? Une telle approche est-elle applicable ? Celui qui l'appliquerait dans sa vie de tous les jours serait-il un saint, un naïf ou un serait-il considéré comme un fou, comme un demeuré, comme un inadapté social ?
La réponse à cette question peut se chercher dans les situations de la vie où l'inverse, le fait de considérer comme un dû un certain nombre de choses, est synonyme de goujaterie. Imaginons ces personnes qui considère comme un dû de recevoir des présents pour leur anniversaire ou pour Noël et absolument pas comme un cadeau, comme une surprise agréable. Rappelons-nous cet épisode d'Harry Potter où Dudley, le fils de ses parents adoptifs, compte le nombre de ses cadeaux d'anniversaire, et fait une scène parce qu'il y en a un de moins que l'année précédente (36 au lieu de 37) ! Un cas extrême ? Mais qui ne penserait pas d'une personne qu'elle serait malpolie et mal élevée si elle considérait comme un dû que vous la laissiez passer dans une file, que vous ayez un mot gentil, une attention ... même si elle est de votre famille, une vieille tante par exemple ... Evidemment, aucun d'entre nous n'aimerait être oublié le jour de son anniversaire ou le jour de Noël. Quel pire évènement peut-il y avoir que l'on vous oublie un tel jour ? N'y a-t-il pas là le point le plus terrible d'être seul, voire d'être un sans-abri ?
Le concept même de droit nous fait ainsi perdre de vue que la sagesse serait de considérer comme un cadeau, comme un présent, le fait de voir les autres respecter nos droits et de ne pas les considérer ni comme acquis ni comme automatiques.
Mais en même temps, cela me fait une belle jambe pour gérer les cas extrêmement fréquents où telle ou telle personne violera mes droits, ma priorité !
Saucratès
Mes précédents écrits sur la Morale
1. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/12/01/sur-la-morale-un.html
2. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/08/21/sur-la-morale.html
3. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/02/17/sur-la-morale-trois.html
4. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/12/31/sur-la-morale-quatre.html
5. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/05/25/sur-la-morale-quatre.html