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Publié le 12 septembre 2010 par LejournaldeneonVoilà que ça recommence ! Tony qui remet ça avec tout son cinéma, et des tas de coups de fil à passer pour que le machin soit prêt à temps. Une grande exposition de Photomobiles™ pour faire plaisir à Jocelyne. Le problème est que j’hésite encore sur le titre. « Les coïncidences de l’horizon » ou « la politique de la chaise vide » ?... Le projet de refaire intégralement la déco intérieure de la Société générale à grands coups de fichiers altérés.
Allo ! Oui, bien sûr que c’est moi. Qui veux-tu que ce soit ? Évidemment que je l’ai vue. J’étais même venu tout exprès pour elle. On a parlé croissance et PIB. Et puis je crois qu’elle n’a pas souhaité qu’on en dise plus sur Proust. Comment ? Bien sûr qu’elle était nue ! Tu la connais. Elle était nue, enveloppée de roses bourlinguées par le vent. Tout un jardin. Une grande pluie de fleurs prêtes à déferler avec cette vierge plantée au milieu qui cherche chaussure à son pied, un cœur d’élite, un mâle vigoureux bardé de valeurs morales irréprochables. Quelqu’un qui saurait l’aimer à sa juste valeur sans avoir peur des épines. Peut-être un prince ou un aventurier, personne ne sait vraiment ? La muse arrive à la galerie des Offices par la mer, sur une embarcation en forme de coquille St Jacques pour épater le prince en question. La jeune femme aurait tout aussi bien pu débarquer à bord d’une moule, ou d’une huître, mais la belle avait finalement préféré ce modèle de coquillage assez large qui avait la réputation de bien tenir son cap dans les tempêtes.
Vanessa retourne dans tous les sens l’évocation d’une Aphrodite Anadyomène debout sur son vaisseau de nacre, sans comprendre où Tony veut vraiment en venir.
- Tes roses ? On dirait plutôt des œillets...
- Peut-être ! Mais on n’est pas toujours obligé de voir le malheur partout.
Tony mâchonne son crayon, triture son ébauche d’affiche et finit par dessiner un travelling fuyant sur le côté dans le sens du vent ; un plan bien fluide en direction du bar. C’est comme ça que tout a commencé. L’idée d’un grand film à l’eau de roses vu sous l’angle d’une nature humaine assez complexe pour la rendre crédible auprès d’un public difficile. L’histoire abstraite d’une rencontre entre deux individus compatibles à partir de leurs sentiments délabrés. Un film qui finirait par une traversée du désert sous un soleil de plomb à cause d’une lettre qu’elle ne comprendrait pas. La fille... Disons, celle qui est assise au bar et qui fume une cigarette sans filtre les yeux vides en attendant personne.
Alors Tony a envie de courir ! Et Tony pense d’emblée à Forrest Gump (un type qui décide un jour de courir, et de continuer les jours qui suivent pour réussir à en faire un film émouvant récompensé par 6 oscars). Tom Hanks, vraiment incroyable dans le rôle du coureur de fond. Son histoire d’amour tragique avec Jenny. Vanessa dit qu’elle n’a pas vu non plus ce film-là, mais qu’elle en a vu un autre. Un film comme une histoire d’amour sur un brise-glace, et ça se terminait bien à la fin. Un décor de congères magnifiques coupé en deux, parfaitement sectionné à partir du milieu, uniformément réparti de chaque côté de l’écran à partir d’une simple ligne bleue. « Un grand film ! tu aurais dû voir ça ! les baleines en train de s’étrangler et les phoques aussi, leurs grands yeux accablés ; les manchots dans leurs complets noirs comme une foule hagarde face au spectacle du ciel infini ». Une saignée céruléenne au cœur de l’océan arctique, la profondeur abyssale d’une blessure amoureuse et tout un hiver passé à essayer de la recoudre dans des lignes de transports un peu figés.
Vanessa s’emballe… se dit qu’elle va peut-être un peu trop vite. Vanessa s’emballe et Tony pense tout de » suite à l’empaquetage d’une côte australienne dans l’œuvre de Christo (90 000 m2 de tissu anti-érosion sous 56 Km de corde de polypropylène, l’ensemble recyclable bien sûr ! pour ne rien abîmer dans le décor naturel). Une idée absurde. L’idée d’une femme bien emballée, sertie de gros câbles d’acier pour la retenir de dériver trop vite vers le large, et Tony était bien avancé ! Vanessa qui ne comprendrait pas, qui ne connaît pas Little bay. Vanessa qui déteste les idées bizarres, les sacs plastiques qui traînent et les brides un peu trop élastiques. Vanessa qui fait genre : Je comprends ce que tu me dis, oui, Christo... j’adore évidemment ! le rideau de nylon orange surtout, immense, barrant l’horizon de Rifle Gap dans le Colorado. Le Running Fence en Californie et puis les milliers de parasols géants « visibles de la lune » (mais personne n’avait pu vraiment vérifier !)
Tony, qui juste à ce moment-là, s’étonnait d’une idée bizarre dans l’esprit d’un Marcel Duchamp… (l’image d’un brasero penché sur une terrasse... Un brasero Palmyra™ : une tête de femme pour le chapeau, un corps en fil de fer réglable en hauteur et le container à charbon pour tenir chaud l’hiver) L’image d’un brasero sur une terrasse de la rue Brise-miche, sans parler des trucs en couleur qui trempaient dans le bassin sur le côté du musée d’art moderne ; (Vanessa, le brasero, la rue Brise-miche… Le tout pour bien se repérer dans la forme des idées abstraites d’un gars fort en calcul mental comme Tony). Le mannequin dans la vitrine, une statue de Ste Geneviève au Luxembourg, une pietà de Nicolas Coustou sculpté sur un socle de François Girardon, le filet de pommes vertes à 4,30 euros le kilo chez l’épicier, un portrait de femmes par Modigliani, le cul d’une nymphe dorée à l’or fin sur le palais central du palais de Chaillot, une délicieuse brioche bien dorée et riche en beurre du Poitou, un pot de confiture à la myrtille ; une caisse enregistreuse en acier chromé, une télécommande à distance et multifonctions...
Tony, arrêté net dans ses dédales de chiffres, ses problèmes de stochastiques, alors qu’il s’apprêtait à signer la femme au chapeau sur son cahier d’esquisses. « Femme au chapeau, 50 Kg de charbon à brûler - Taule façonnée et vissée - 1,70m, mais réglable en hauteur (d’après l’esquisse d’un brasero de marque Palmyra™) - Décembre 2005. »
Tout se termine dans un décor de forêt vierge sur une île fantastique et une fille attachée par les poignets qui attend l’arrivée d’une grosse bête pour se faire dévorer. Tony, en train de strory-boarder Jessica Lange à moitié nue dans la main d’un singe. (Jessica lange à ses débuts dans le film de John Guillermin). Le roi Kong, carrément bien monté dans la version de 1976 et vite descendu par toute une armée d’hélicoptères de guerre américains. Mais Tony préférait quand même la bande originale de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack tournée en 1933. Fay Wray dans le rôle de la belle Ann Darrow. Kong dans le rôle de la bête. Jack le marin, en St Georges tentant de terrasser le dragon pour faire le beau devant sa belle. Finalement, la belle... assassine l’horrible bestiole sans l’avoir voulu vraiment, et doit se contenter des petits bras de Jack Driscoll pour continuer de la protéger face au monde injuste et dégueulasse qui préfère tuer des singes sauvages en carton-pâte tout en haut des buildings, plutôt que de dégommer des princes charmants un peu cons dans la profondeur inutile du décor.
Allo !... Je crois que c’est à ce moment là qu’elle a raccroché.
PRÉSENTATION DE L’AUTEUR ET DE SA MÉTHODE DE PRODUCTION D’IMAGES CRYPTÉES. « LES PHOTOMOBILES™ / TOUTE UNE MACHINERIE ÉLECTRONIQUE EMBARQUÉE DANS LES DES PIPELINES DE LA PENSÉE DIRIGÉE POUR FAIRE FACE AU PRINCIPE D’OBSOLESCENCE GÉNÉRALE.
Jean-Luc Gantner à d’abord été reporter indépendant et réalisateur de films documentaires avant de rejoindre la société France Télévision comme journaliste. Il travaille actuellement à Besançon, au bureau de France 3 Franche-Comté.
Parallèlement à cette carrière dans l’information, il poursuit une exploration artistique sur le thème de l’identité™, celui des systèmes d’échange en général. Tout ce qui concerne la problématique de la communication. (« La communication explique le cinéaste JL Godard, c’est quand ça bouge, quand ça bouge pas ! C’est la pornographie. C’est en quelque sorte... mettre du mouvement là où il ne se passe rien. Du mauvais cinéma. De la télévision… S’agiter, faire du bruit, montrer qu’on est là ». Une obsession à vouloir exister, même quand vous n’avez rien à dire et que personne ne vous demande rien.
Sa passion pour les voyages de toutes natures, la philosophie, la musique, la littérature et surtout le cinéma... Jean-Luc Gantner se définit lui-même comme un artiste post-moderne, et bien qu’il eût plutôt préféré qu’on parlât de lui en utilisant le substantif d’ « auteur » pour accepter de paraître dans le monde. Dites alors : « cet auteur » plutôt que « cet artiste » !... (D’autant qu’il exista bien déjà « sept » nains dans la célèbre histoire de Blanche neige et que ça commencerait à faire beaucoup !) Un « auteur post-moderne », et voilà que la chose sonne déjà mieux, non ?! Une sorte de bricoleur d’idées toutes faites et de marches à suivre imposées par le plus grand nombre... Quelque chose d’ironique à propos de l’air du temps maussade et des natures mortes passées de mode. La définition d’un exercice intellectuel de l’ordre de la parodie. Une tentative de simulacre (« Une vérité qui cache le fait qu’il n’y en a aucune » disait Jean Baudrillard). Oui, encore, l’idée d’un truc, l’ébauche d’une astuce un peu excentrique pour plaisanter du bruit des vagues et continuer d’amuser la galerie grâce à un peu d’eau de pluie !
Voilà donc cette fois le journaliste bien emballé dans son beau costume d’auteur... Un publiciste converti aux méthodes modernes de forages des unités sensibles. Un reporter abonné à la rubrique des circuits intimes et qui s’intéresse tout particulièrement à la problématique de l’image de marque™ mise à l’épreuve de la société médiatique. Un travail d’abord conceptuel, fortement influencé par le pop art américain, le Post-structuralisme, (les idées du philosophe Jacques Derrida dans les années soixante) puis plus tard celles du déboulonneur de mythes Roland Barthes (« Quand je me sais photographié, disait l’auteur de La chambre claire, je me transforme en image ») Et Voilà bien l’origine des Photomobiles™ de JL Gantner. Cette drôle d’idée fixe de vouloir faire « poser » les déchets d’une matière numérique accablée, pour constater ce que ce système d’un langage binaire est tout de même capable de produire par lui-même dans la finalité d’une mise en scène spectaculaire et poétique.
(Cet instinct naturel du genre humain, forcé de répondre à la question de l’altérité du monde par le procédé plutôt commode de la photo de famille qu’on agrafe sur le mur de la chambre à coucher des enfants).
C’est en 2004 que l’idée naît, des Photomobiles™. « Un accident » aurait dit le peintre Francis Bacon. Les toutes premières tentatives d’images opérées avec un téléphone portable (le pire des outils selon les critères convenus d’un artisanat pictural traditionnel). Des images... ou plutôt quelques pixels de qualité médiocre enregistrés sur une carte mémoire rapidement saturée, et parfaitement incapables de supporter le moindre agrandissement. Un résultat tout d’abord décevant en forme d’aberrations chromatiques de la pire espèce. En réalité : la possibilité d’une formidable expérience ; tout un nouveau commerce d'échanges possibles et parfaitement appropriés à leur libre circulation sur les lignes numériques ; tout un marché naissant de libres transports avec un vrai mobile d'une bonne marque™ collée sur l'écran.
Quelques mois plus tard, la machinerie Photomobiles™ était prête à remplir son rôle d’attraction de foire dans le grand atrium de l’ère digitale. Un jeu de coïncidences entre les aberrations du procédé numérique « moderne », et l’éloge du défaut dans les formes de productions anciennes ; un croisement magique en plein âge d’or de la technologie mobile, des déplacements de flux à très haute vitesse, et leur mode de communication binaire livré avec. (« Oui, non... Vrai, faux... Ceci ou cela... « Que faire, disait Rolland Barthes dans ses fragments amoureux ? Je décide de ne pas choisir. Je décide de continuer. »)
Allo ! Oui, c’est encore moi. À propos de Godard, justement ! Écoute celle-là. C'est en soixante quinze. JLG répond à une interview pour Libé. Il dit : Mon prochain film s'appellera Comment ça va. C'est l'histoire d'un mec qui s'engage pour faire de la photocomposeuse et qui dit à un rédacteur ; « Tu dictes trop vite pour mes mains »... C'est tout. « Comment ça va ? » « Bein ça va trop vite ! ».