Magazine Journal intime

Sterlac et son oreille… dans le bras

Publié le 02 novembre 2010 par Sexinthecountry2

J’avais reçu un beau mandat! J’étais très heureuse et flattée de ma nouvelle mission! Je devais trouver un élément de l’actualité dont j’irais parler à l’émission Le monde aujourd’hui animée par Denis Leduc, à Radio-Canada Rimouski. J’ai passé deux semaines aux aguets, mais ça n’a rien donné, rien n’a vraiment réussi à attirer mon attention. Alors, j’ai décidé d’acheter le cahier week-end du Devoir. Dès que j’ai vu la page titre du Devoir mon sujet était choisi : Sterlac. Cet artiste australien s’est fait greffer, grâce à des technologies de pointe en chirurgie plastique, une fausse oreille dans le bras gauche dans laquelle sera insérée un micro qui permettra à quiconque en se branchant sur internet d’entendre tout ce qui se passe autour de lui (espérons pour lui qu’il y aura une «switch» on/off sur son truc parce que s’il décide de faire l’amour ou de péter, peut-être aura-t-il besoin d’un peu d’intimité). Cet article a soulevé en moi de nombreuses questions. Selon Sterlac : «Dans le futur toutes les technologies seront invisibles parce qu’elles seront à l’intérieur du corps humain.» Je me suis imaginée à 70 ans avec un cellulaire et un accès internet dans ma tête et j’ai pris peur!

N’y-a-t-il pas ici un danger de décrocher encore plus du monde tangible et matériel qui nous entoure? De ce qui fait notre humanité à tous? J’ai toujours cru que de nombreuses dépressions et burn-out étaient dû au fait que nous nous détachons beaucoup trop de la terre et de notre origine animale. Nous avons presque l’impression que les carottes et les poitrines de poulet poussent dans les rayons de l’épicerie. Que, pour nous chauffer, nous n’avons qu’à tourner le thermostat. Mais cette chaleur, d’où vient-elle cette chaleur? Certainement pas du chèque que nous signons à chaque mois (si nous n’avons pas encore cédé au retrait direct dans notre compte).

Comment sentir que nous faisons partie de ce monde si nous n’y posons plus de gestes concrets? Et pardon, mais je ne crois pas qu’aller prendre une marche en forêt les après-midi dominicaux puisse être considéré comme un geste qui nous unit à la nature. C’est déjà mieux que de rester chez soi vous aller me dire. Oui tout à fait, mais ça n’en demeure pas moins de l’observation et non de la participation.

Personnellement, je crois bien que je serais devenue complètement dingue si je n’étais pas revenue à certains gestes de base comme faire mon jardin, cuisiner mes conserves et allumer mon feu à tous les matins pour réchauffer mon antre…

Ce qui m’amène de nouveau à Sterlac… Imaginez ce qui se produirait si nous avions la téléphonie implantée directement dans notre tête! D’abord, il y aurait danger de devenir fou (et là vraiment, j’espère qu’il existerait une switch on/off indestructible). Mais imaginez un peu, ce que deviendrait le rapport à l’autre!!?? Depuis toujours, notre rapport à l’autre passe par l’extérieur de nous, il sort des limites de notre corps pour aller se projeter vers l’être en face de nous, ou à des kilomètres depuis l’invention du téléphone. Mais si la communication outrepassait ces limites et se retrouvait implantée directement à l’intérieur de nous? Quelle incidence cela aurait sur les frontières entre nous et le monde!!?

Mais l’oeuvre de Sterlac pose une autre question : celle de l’humain-robot ou du cyborg… Selon lui notre corps est désuet et la technologie permettra de le rendre plus utile, plus performant. À force de rendre ce corps si parfait, ne deviendra-t-il pas invincible jusqu’à repousser la matérialité de la mort? Mais ce qui fait notre humanité, n’est-ce pas justement notre finitude? En perdant la mort, ne risque-t-on pas de perdre notre âme? Et cette obsession d’un corps plus performant, d’un humain parfait, n’est-elle pas sans nous rappeler certaines idées nationalistes à l’origine des génocides?

Une chose me chicote encore : si vraiment, selon Sterlac, les technologies deviendront invisibles parce qu’intégrées au corps, alors pourquoi, au nom du ciel, s’être fait greffer cette affreuse oreille frankensteinesque sur le bras? Pourquoi n’avoir pas simplement demandé qu’on lui implante discrètement un micro?



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