La nouveauté de la semaine: je suis une mauvaise mère. À vrai dire, je le suis dans le regard plein de jugement négatif que ma voisine de table, le bec pincé, m'a lancé à notre dernière sortie au restaurant, Bébé fille et moi. Je vous explique les circonstances (que j'espère atténuantes) pour que vous puissiez rendre un jugement impartial sur la cause exposée.
Dans mon coin de pays, dimanche soir dernier, est tombée une fine couche de neige qui nous attendait gaiement lundi matin à notre réveil. Vous savez, ce genre de neige qui fond aux premiers rayons du soleil, qui fait l'agace en nous rappelant que l'hiver approche et donc, qu'il est d'une urgence capitale de courir au centre commercial acheter un habit de neige et surtout des bottes à bébé qui se promène encore en souliers le 31 octobre.
Donc, lundi matin, je me suis rendue au centre commercial avec Bébé fille. Arrivées à destination, j'ai eu la brillante idée de laisser Bébé fille se balader comme une grande pour se dégourdir un peu les jambes (le centre commercial se trouvant à une distance de 30 minutes en voiture). Erreur fatale, system failed. En plus d'aller dans la direction opposée, elle entrait dans chaque boutique faire des coucous aux vendeuses. Après de longues minutes à la suivre pour ne pas risquer de me la faire voler (on ne sait pas quel vendeur indigne de cellulaire pourrait s'en servir pour faire mousser ses ventes), je l'ai prise dans mes bras pour l'emmener à la salle de torture (lire: la boutique de vêtements pour enfants). Je vous laisse imaginer les pleurs de bébé mécontent qui ont résonné dans les allées. À grands coups de "oh! regarde la belle robe rououououge!" et de "wow! un beau manteau rouououououge!", j'ai réussi à faire cesser les pleurs (vous aurez compris au passage que le rouge est la couleur préférée de Bébé fille......ça, ou la façon bien particulière dont je prononce la couleur, c'est-à-dire en roulant longuement le "r" et en étirant le "ou" jusqu'à ce que je n'aie plus de souffle).
Dans la boutique, la vendeuse et moi avons, tant bien que mal, inséré Bébé fille dans deux habits différents, question de choisir celui dans lequel ma puce avait l'air confortable, sans pour autant perdre son air de cosmonaute. J'en profite d'ailleurs pour souligner l'excellence de la vendeuse (je considère que les dames dont le métier consiste à faire essayer des vêtements à des enfants de moins de trois ans, jour après jour, année après année, méritent une médaille de bravoure de la gouverneure générale). Le choix étant fait, je suis passée à la caisse pour ré-hypothéquer ma maison (question d'avoir assez de sous pour payer le kit hivernal, bordel que ça coûte cher).
Est ensuite venu l'achat des bottes, qui s'est révélé relativement simple puisqu'il ne restait plus qu'un seul modèle en magasin qui convenait parfaitement. Bébé fille, toute heureuse d'avoir des bottes, marchait en faisant de grands pas d'astronaute et en contemplant ses pieds chaussés à toute épreuve. Comme elle semblait avoir beaucoup de plaisir à se regarder marcher, je lui ai pris la main et nous sommes retournées à la voiture, sans chi-chi cette fois.
À peine étais-je sortie du stationnement que mon estomac s'est mis à gargouiller. Celui de Bébé fille aussi. Il gargouillait si fort qu'il résonnait jusque dans mes oreilles.....ou était-ce ses pleurs? Peu importe, l'heure était grave, nous étions deux affamées qui ne survivraient pas à la distance nous séparant de la maison. J'ai donc opté pour le restaurant. Il me fallait choisir un endroit où les enfants sont bienvenus, avec un menu qui plairait à ma petite princesse et un service ultra-rapide. Je souligne le fait que la sieste de Bébé fille a été interrompue par notre arrivée au centre commercial, ce qui signifie qu'elle était affamée et épuisée, ce qui s'avère être un mélange explosif dans le corps d'un enfant de 1 an. Je devais donc inclure dans mes contraintes un endroit peu fréquenté où Bébé fille pourrait faire aller ses cordes vocales de progéniture fatiguée sans déranger une foule en quête de tranquillité.
La réponse m'est apparue comme un flash: Mc Donald's. En plus, j'avais comme une petite envie de croquettes et de frites saumurées, d'une pierre deux coups. Je me sentais un peu coupable d'y amener Bébé fille à peine âgée d'un an, surtout qu'elle n'y avait jamais mis les pieds et n'avait jamais goûté à ces aliments beaucoup trop salés pour porter le nom de nourriture. En route vers ce lieu maudit, je me suis convaincue que ce n'était pas la fin du monde, une fois n'est pas coutume et je compenserais avec un bon souper équilibré et nutritif. Avec un peu de chance, je passerais sans doute inaperçue et personne ne nous remarquerait, tous trop occupés à engloutir leur dîner rapido-presto sans se faire eux-mêmes remarquer. C'est bien connu que de nos jours, aller au McDo est tellement mal vu que ceux qui y vont portent des lunettes fumées et une fausse moustache (j'en ai même déjà vu avec un sac de papier sur la tête).
Désillusion totale: tout le monde nous a remarqué (ça m'apprendra à avoir la plus belle fille du monde). Ma voisine de table, une dame âgée qui sentait fort le parfum, s'est tournée vers moi pour me demander l'âge de ma princesse. En offrant une bouchée de croquette à Bébé fille, j'ai répondu bien naïvement "1 an", fière comme un paon de parler de ma fille. Pendant que Bébé fille se tortillait de délice et redemandait des croquettes et des frites, la voisine aigrie m'a regardée comme si j'étais la pire mère du monde entier, en ajoutant un cruel "Franchement, 1 an, c'est pas mal jeune pour manger du fast-food". J'allais lui répliquer : "Si vous en mangez vous-mêmes, c'est que ce n'est pas poison, tout de même", mais une autre maman est entrée, avec une fillette de la même grandeur que Bébé fille (mais moins belle, il va sans dire). J'ai regardé ma voisine avec un regard du genre "Je suis pas la seule, faut croire!" et la chipie s'est tournée vers la maman en question pour lui demander l'âge de sa petite fille. La maman, toute fière de parler de sa fille qui portait un habit de neige flambant neuf (il a dû neiger chez eux aussi), a répondu dans un grand sourire: "18 mois!"
Et la voisine-vieille-grébiche de se tourner vers moi, l'air triomphant. J'ai avalé mes croquettes de travers, une petite boule de culpabilité au fond de l'estomac.