Je suis une éternelle insécure. Inventer des raisons pour m'inquiéter, imaginer des scénarios qui me tordent le coeur et me faire des peurs avec des riens, je suis bien bonne pour ça (étant de nature extrême, il faut bien que j'aie un envers de la médaille à mon côté tellement optimiste la fille que mon-cerveau-en-oublie-les-mauvais-souvenirs-et-ne-garde-que-les-bons).
Vous pensez sans doute que la maternité n'y a absolument rien changé et qu'au contraire, je m'inquiète plus souvent qu'autrement.
Vous avez tout à fait raison. Bébé fille est pour moi un éternel sujet de peurs et d'inquiétudes. Après les habituelles craintes de la grossesse (ses sens fonctionneront-ils tous? aura-t-elle une malformation quelconque? un déséquilibre mental? tous ses membres? une bonne santé? est-ce qu'elle ressemblera vraiment à l'image floue et déformée d'un être à qui on peut voir le crâne comme on voit durant l'échographie? si je mange des crevettes, est-ce qu'elle va sentir le poisson?), sont venues les interrogations des premières semaines de vie (comment est son caca? son pipi? boit-elle assez? a-t-elle chaud? froid? soif? faim? respire-t-elle? pourquoi son orteil est comme ça? est-ce que ça l'empêchera de marcher? suis-je la seule mère à ne pas trop comprendre comment fonctionnent les foutus percentiles et s'en ficher royalement? pourquoi elle pleure? pourquoi je pleure?).
Plus bébé grandit, plus les raisons sont nombreuses de s'inquiéter et se culpabiliser. On surveille les fils et les prises électriques d'un air mauvais, car c'est bien connu qu'ils ont l'habitude d'amadouer nos petits pour mieux les attirer et les électrocuter. Les escaliers sans surveillance ni barrière sont nos pires ennemis et nous hantent jusque dans nos cauchemars. Les voitures et les chiens sans maître qui passent dans la rue nous font frémir de terreur. Les couteaux, fourchettes, scie, pique à glace, marteau, aiguilles et autres objets pointus/tranchants/lourds/dangereusement mortels nous pourchassent sans relâche et nous n'avons d'autres choix que de les enfermer à double tours dans des armoires inaccessibles. Sans oublier les produits ménagers tels que savon à lessive ou à vaisselle, nettoyant pour cuvette ou plancher et poush-poush ayant la capacité de faire briller tout ce sur quoi ils se déposent, qui, avec leur odeur appétissante de pomme, vanille, ciel frais et menthe, attirent les enfants gourmands pour mieux se faufiler dans leur petit estomac et les empoisonner. La liste est longue, très longue, trop longue.
J'en étais à ces réflexions sur les dangers qui guettent ma tendre Bébé fille la nuit passée, entre deux quintes de toux. Soudain, LA grande révélation s'est pointée le bout du nez dans mon cerveau et j'en fus si secouée que je me suis assise dans mon lit où traînaient ça et là des petits kleenex sales.
Un jour, Bébé fille sera une adolescente.
Seigneur. Le choc que j'ai eu, je vous dis pas. Ça ou un coup de massue en plein front, pas de différence. Un jour terrible viendra où je ne lirai plus dans son regard un doux "ma maman est la plus merveilleuse", mais plutôt un horrible "t'es vraiment conne quand tu t'y mets". Ce jour-là, les dangers qui la guettent vont se multiplier par mille. L'attaque des hormones sera terrible, elles lui en feront voir de toutes les couleurs et, à mon grand désarroi, lui feront prendre conscience que les garçons peuvent se révéler intéressants (sic). Avec le temps, les regards qui se poseront sur elle ne seront plus attendris par son innocence d'enfant, mais plutôt par les charmes de cette femme en devenir (re-sic). On lui proposera de nouvelles expériences sensorielles sous forme de drogue, alcool, cigarette ou pire encore, ballade en mobylette. Elle ne voudra plus porter ses jolies robes de princesse et je devrai découper en mille morceaux (et surtout en cachette) ses strings. Je n'aurai plus le contrôle sur la façon dont ses cheveux seront coiffés et elle prendra le contrôle de ma trousse de cosmétiques, pigeant avec volupté dans mes crèmes à 50$ le flacon. Les vendeurs de cellulaires, lecteur MP3 et autres technologies lui tourneront autour avec des offres alléchantes qui videront mon maigre compte en banque. Elle parlera un dialecte que je ne comprendrai guère (pour le peu de fois où elle parlera au lieu de grogner pour répondre à mes questions). Elle recommencera à ne plus faire ses nuits, dormira toute la journée, rentrera passé le couvre-feu, écrira dans des coeurs le nom d'un garçon que je ne connais pas.
Et moi, j'aurai des crises d'urticaire, je perdrai mes cheveux à force de m'inquiéter, je guiderai cette adolescente du mieux que je peux et regarderai avec nostalgie son livre de bébé, photographies y compris, me rappelant la douce époque où elle obéissait quand je disais non.
Je n'ai plus fermé l'oeil du reste de la nuit.