19h55. Bébé fille dans le bain. Je lui chante des comptines grivoises puisque je peux encore me le permettre. L'amoureux ramasse la vaisselle. Je risque un coup d'oeil au miroir : le traître me renvoit l'image d'une jeune mère dont les cernes occupent une trop grande superficie du visage et dont les cheveux noués supplient la propriétaire de leur offrir une bonne coupe. Je songe à mon lit comme un alpiniste rêve au Mont Everest : une ascension longue et douloureuse semée d'embûches.
20h06. Bébé fille sur la table à langer. Je crème ses petites fesses dans une pluie de protestations. L'amoureux m'apporte le pyjama de la petite et lui fait des guilis-guilis qui ont l'avantage de faire cesser les pleurs. Je suis fatiguée. Il me reste une brassée de vêtements propres à plier. Je songe à mon lit comme un coureur imagine la fin d'un marathon : quelques kilomètres encore avant un repos bien mérité.
20h18. Bébé fille dans mes bras. Je la berce doucement le temps qu'elle boive son biberon. Elle est si belle et calme. Je réalise à quel point je l'aime. Ses yeux se ferment et derrière ses paupières des rêves commencent à prendre forme. Je la berce encore un peu, à demi-assoupie moi aussi, savourant ce moment de quiétude. Elle grandit si vite. Je songe à mon lit comme un avocat révise son plaidoyer : une confiance absolue que la fin approche et que le procès sera gagné.
20h29. Bébé fille dans son lit. Elle dort. Espérons qu'elle ne se réveillera pas trop souvent. L'amoureux écoute le hockey. Merde, pas déjà le retour du hockey. Je m'attaque à ma brassée à plier et réalise qu'une deuxième m'attend dans la sécheuse pleine. Le mécontentement aux lèvres, je plie ces deux brassées. Je songe à mon lit comme un nain regarde le pot de biscuit sur l'étagère du dessus : une gâterie inacessible et une injustice flagrante.
20h43. Bébé fille remue dans son lit. Elle doit rêver. J'ai fini de plier mes $%/£*¬&# brassées de linge. L'amoureux écoute toujours le hockey. Je brosse mes dents en prenant soin d'éviter le miroir. On ne me fait pas le coup deux fois. Je souhaite bonne nuit à l'amoureux et me dirige vers les escaliers. Je songe à mon lit comme un chirurgien se concentre sur les points de suture qu'il termine : plus que quelques secondes et le tour sera joué.
21h03. Bébé fille dort comme un ange. Et moi non. Malgré la fatigue et mes yeux que je garde fermés avec beaucoup de soin, le sommeil ne vient pas. J'ai trop chaud. Je réfléchis à tout ce que j'ai à faire au boulot, repense à ma journée pour voir si un détail pourrait faire une belle histoire pour mon blogue, calcule les factures à payer et les rénovations qu'il reste à faire, fais l'horaire de la journée du lendemain et revois le contenu du garde-manger pour m'assurer qu'il ne manque rien pour le souper du lendemain.
22h36. Bébé fille se réveille. Je me réveille moi aussi, en sueur (noooooooooon, j'avais enfin réussi à m'endormir). L'amoureux dort comme une bûche (tiens, il est là lui). Je vais voir Bébé fille. Elle a fait un cauchemar, je la recouche, lui donne sa suce et elle se rendort à nouveau. Je retourne dans la chambre. Je songe à mon lit comme une tranche de bacon conçoit un poêlon : un endroit où il fait bon se coucher mais où règne une chaleur mortelle.
23h44. Bébé fille dort, ce qui est surprenant parce qu'habituellement, elle réclame un biberon à cette heure. L'amoureux ronfle. Ça doit être ça qui m'empêche de dormir. À moins que ce soit cette chaleur intense, même nue, j'ai chaud. Si je pouvais mettre mon cerveau à off, ça m'aiderait beaucoup. Je songe à mon lit comme un concierge regarde les toilettes du building où il travaille : même là, pas moyen de penser à autre chose qu'au boulot.
0h16. Bébé fille respire. Mon Dieu, elle respire fort, quelque chose ne va pas. Paniquée, je me lève d'un bond. Silence. Je me recouche, ça devait être mon imagination. Tiens, ça recommence. Mais qu'est-ce que...? L'amoureux se réveille et me demande de respirer moins fort ou d'aller dans la chambre d'amis. Au moins, le mysère de la respiration est résolu. Je ne dors toujours pas et pourtant, je ne demande qu'à m'enfuir dans les bras de Morphée. Je songe à mon lit comme un archéologue analyse une momie : prudence, une malédiction s'y cache peut-être.
1h22. Bébé fille rêve sans doute, elle bouge dans son lit. L'amoureux va à la salle de bain et me dit que je parle en dormant. J'attends qu'il se rendorme puis je continue ma discussion sur le sens profond de la vie avec la mouche sur le coin de ma table de nuit. Elle est pas tellement jasante. À voir la position de ses pattes, elle est peut-être même morte, mais je m'en fous. 1h22, c'est une bonne heure pour une psychanalyse. Je songe à mon lit comme un homme saoûl considère un bar : confortable, mais loin d'être le meilleur endroit pour dormir.
2h03. Bébé fille se réveille. Elle réclame son biberon. Je m'élance pour le préparer et le lui apporte avec tout l'amour qu'une mère insomniaque peut donner. Une fois le biberon vidé, elle se rendort. Je retourne dans la chambre. Je songe à mon lit comme un boxeur imagine son prochain adversaire : un des deux devra être mis K.O., y'a de la place pour un seul gagnant dans le ring.
3h17. Bébé fille vient me rejoindre dans la chambre. L'amoureux n'est plus dans le lit. Caché dans la pénombre au coin de la chambre, il me regarde d'un oeil mauvais. Je me mets à vomir, pendant que Bébé fille rit comme une folle. Une lumière bleue remplit la chambre, je suis aveuglée. Je cherche l'interrupteur des doigts, ne le trouve pas, j'ai tellement mal à la tête. Bordel, mais qu'est-ce qui se passe? Suis-je devenue schizophrène? L'amoureux s'approche de moi, Bébé fille dans ses bras, il ouvre la bouche pour me parler et Bip, Bip, Bip, Bip.
6h00. Le réveil-matin sonne. Une autre journée qui commence. Fatiguée de ma nuit d'insomniaque, je songe à mon lit comme un alpiniste rêve au Mont Everest : une ascension longue et douloureuse, semée d'embûches.