Magazine Journal intime

Les grosses têtes - page 24.

Publié le 21 novembre 2010 par Douce58
         Je ne voudrais pas quitter le quartier Saint-Louis de nos écoles sans parler d'un endroit singulier.  Au fond de l'allée qui menait à l'école Pasteur, il y avait une bâtisse en briques assez rustique, vestige sans doute d'un ancien mas, dont le porche était fermé par un portail de bois à claire-voie.  En approchant son visage des lattes de ce portail, on apercevait à travers leurs interstices, à la faveur de la clarté sépulcrale diffusée par quelque soupirail, des formes monstrueuses et livides.  Des membres démesurés, des panses énormes, des têtes colossales aux yeux écarquillés, aux rouges pommettes saillantes, aux bouches sanglantes distendues sur des dents d'ogres.  Quand je les vis pour la première fois, je reculai de frayeur.  Puis, voyant que rien ne bougeait dans cet antre obscur, j'osai me rapprocher.  Les monstres n'étaient que de débonnaires géants de carnaval en carton-pâte.  Dans les corsos qui se déroulaient sur la Promenade des Platanes, dans le centre- ville, on les appelait communément  les grosses têtes.  Au temps de sa splendeur, quand les primeurs du Roussillon rapportaient des fortunes, Perpignan avait un carnaval somptueux, financé par les corporations d'expéditeurs et de commerçants.  Dans mes jeunes années, le carnaval était devenu plus modeste, avait réduit son train, car le Roussillon subissait déjà la concurrence d'autres régions et d'autres pays producteurs.  Cependant, j'eus encore l'occasion d'assister aux défilés de chars fleuris, aux batailles de confettis et d'être pris par les grosses têtes pour cible de leurs inquiétantes familiarités (comme elles le faisaient pour d'autres spectateurs, elles se penchaient vers moi en dodelinant de façon grotesque et monstrueuse).  Je poussais des cris d'effroi et me réfugiais dans les bras de ma mère ou de ma grand-mère, enfouissant le visage dans leur giron pour ne plus les voir.  Les corsos endiablés lâchaient aussi vers le public des sarabandes de masques.
Des arlequins, des pierrots, des polichinelles, des brigands balafrés, des marquises poudrées s'approchaient à vous toucher le nez.  Tu ne me reconnais pas?  Oh, oh! moi je te connais... 

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