Magazine Journal intime

Joffre - page 13.

Publié le 21 novembre 2010 par Douce58
  Du cinéma Familia, il suffisait, pour retrouver notre quartier, de passer le pont Joffre et de remonter l'avenue du même nom.  Le vainqueur de la Marne, le généralissime, le Maréchal était apparenté par sa mère et par son père à la branche paternelle de ma famille.  C'était le grand sujet de fierté de mon grand-père François, qui avait servi en 14-18 sous son haut commandement.  Mon autre grand-père, Joseph, avait lui aussi combattu pendant la Grande Guerre dans le corps des chasseurs alpins.  Dès le premier engagement, il avait eu la poitrine traversée par une balle allemande.  Il avait été relevé par l'ennemi et soigné dans un de ses lazarets.  Il avait même reçu l'extrême-onction de la main d'un aumônier allemand.  Guéri, il était resté prisonnier pendant quatre ans en Allemagne.  Ils avaient tous les deux ramené de cette guerre, qui avait gâché leur jeunesse, le souvenir des souffrances endurées, le cauchemar des camarades tombés, des cadavres embrochés réciproquement sur leurs baïonnettes et la conviction qu'on avait fait des ennemis d'hommes que tout - leur humanité même et leurs cultures - devaient tôt ou tard rapprocher.                                                                                      
  Un jour, sur le front, à Dannemarie, les poilus reçoivent la visite de Joffre.  Mon grand-père François, qui continuait d'exercer sous les drapeaux son métier de cuisinier, se trouve mis en présence de son illustre parent.  Joffre étant natif de Rivesaltes, comme mon grand-père, il s'adresse alors à ce dernier en catalan :
  Me vols fer plé?  Fes me una ollada.* *


  Et mon brave grand-père parvient tant bien que mal, en faisant la tournée des fermes avoisinantes, par ailleurs désertées pour la plupart, à réunir les ingrédients nécessaires.  C'est ainsi que Joffre put déguster en pleine guerre, loin du Roussillon, un plat qui lui rappelait la table familiale et son pays natal.
  Le Maréchal Joffre mourut à Paris en 1931.  Il fut enterré à Louveciennes, ville dont son épouse était originaire.  A Rivesaltes, à Perpignan, dans tout le département l'émoi fut immense.  Les populations et mon grand-père le premier se sentirent frustrés des obsèques du grand homme.  On avait privé Joffre de sa sépulture en terre natale!  C'était, pour tout Catalan, une chose inadmissible.
  Mais les obsèques eurent lieu quand même, à Perpignan, en l'absence du défunt.  L'avenue et le pont qui porteraient son nom virent passer, au milieu d'une foule considérable, le corbillard vide de l'enfant du pays.
Tu veux me faire plaisir?  Fais-moi une ollada.*
* plat rustique, typiquement catalan, à base de légumes et de porc.


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