Revenons au cinéma de mon quartier, le Star Ciné. A l'époque de mes jeunes années, on y voyait briller les derniers grands feux d'Hollywood. C'était: Les Quatre Plumes Blanches, avec Tyrone Power; Carmen, avec Rita Hayworth; Rebecca, avec Joan Fontaine et Laurence Olivier; Picnic, avec Kim Novak et William Holden; Le Grand Chef, avec Victor Mature; Rivière sans Retour, avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum... . On retenait surtout les noms des stars. Ceux des réalisateurs, pourtant prestigieux (Alfred Hitchcok, Otto Preminger, etc.), ne comptaient pas beaucoup à nos yeux éblouis par les belles images des affiches. D'autres étoiles déclinaient au firmament hollywoodien et certaines étaient déjà mortes. Ainsi, la comète James Dean qui avait laissé, après A l'Est d'Eden, Géant et surtout La Fureur de Vivre, une traîne ineffaçable de nostalgie et de désir d'imitation . Johnny Weissmüller, le plus grand des Tarzan du cinéma, avait vieilli. Il ne se balançait plus de liane en liane et ne poussait plus le cri de défi de l'homme-singe. Désormais, ayant échangé le pagne contre la tenue du chasseur blanc, il progressait à travers la forêt équatoriale à coups de machette. Je raffolais néanmoins des aventures de Jim-la-Jungle, que j'allais voir avec mon grand-père François le mercredi soir, veille du jour de repos hebdomadaire des écoliers d'alors. Le Star projetait aussi des films à épisodes comme les Misérables, Le Comte de Monte-Cristo ou encore La Petite Porteuse de Pain, qui tirait des larmes aux braves familles du quartier. Les grands burlesques étaient décimés. Les anciens films de Laurel et Hardy faisaient encore recette, mais Oliver était mort et Stan ne tournait plus. Harold Lloyd et les Marx Brothers étaient passés à la trappe. Les deux génies Charlie Chaplin et Buster Keaton, réunis pour la première et dernière fois dans Les Feux de la Rampe, exécutaient un numéro magistral de musiciens catastrophiques. Mais, dans l'ensemble, c'était une morne traversée du désert comique. Il y avait bien Les Trois Stogges, mais seuls nos quatorze ans nous faisaient rire de leurs gags et, en attendant un Jerry Lewis à venir, il fallait se contenter des inégales prestations de Fernandel et de Bourvil.
Le vieux Star Ciné, que je retrouve quand j'entends La Dernière Séance d'Eddy Mitchell, a été mon premier vrai cinéma, celui qui m'initia aux divers genres filmiques et m'inculqua le goût puissant de l'écran. Avant lui, je n'avais connu que les projections en images fixes des aventures de Tintin et Milou et les quelques films, pour la plupart muets, du patronage catholique Notre Foyer. Je dois néanmoins à la vérité de dire que c'est dans cette salle de projections du patronage que j'ai découvert Beaucitron et surtout Laurel et Hardy, qui me faisaient suffoquer de rire.