Magazine Journal intime

Ce qu’une journée raconte à propos d’«écrire»

Publié le 22 décembre 2010 par Sexinthecountry2

10h00 am : Rendez-vous chez le notaire, signature de la cession demie indivise. La maison est à moi. J’ai pleuré parce qu’il y a eu déchirure. Dernier effondrement des rêves bâtis à deux.

Je pense à Woolf et à Une chambre à soi. Je me souviens combien le titre de ce livre m’avait inspirée bien avant que je ne le lise. Je rêvais d’une table de travail surmontée d’un babillard où je pourrais épingler tous les documents et images inspirants que je trouverais, pour les avoir constamment sous les yeux afin de ne pas oublier ce qui passe dans ma vie et me  percute. J’avais peur de ne jamais parvenir à être seule. Cette chambre à soi, ce lieu matériel était l’application concrète d’un rêve de liberté. Pour écrire il faut s’accorder la liberté. S’accorder cette place à nous loin de l’autre, cet endroit sacré que l’on cultive et dont on se réserve l’accès à soi et à soi seulement. Barricader la porte et refuser les incursions. Un endroit assez solide pour résister à tous les béliers de la terre. Et qu’il faut se donner le temps de découvrir. Ça c’est le début du plongeon. La descente en soi-même peut être longue et douloureuse. Je me souviens de ce professeur de psychologie, Christian Thiboutot, qui nous disait que l’on n’est jamais plus près de soi-même que lorsque l’on souffre. Je ne sais pas si cette descente aux enfers est nécessaire pour écrire, mais je sais qu’elle l’est pour accéder à une compréhension plus vaste de certains aspects de la vie humaine. «Avant tout, il vous faut éclairer votre propre âme, ses profondeurs et ses bas-fonds, ses vanités et ses générosités, dire ce que signifie à vos yeux votre beauté ou votre laideur, quels sont vos rapports avec le monde mouvant, tourbillonnant (…)[1]» Il me semble qu’après être descendue aussi loin en soi-même et que l’on en ressort enfin, on ne voit plus les choses de la même façon, notre sensibilité «projette sa lumière sur les petites choses et permet ainsi de voir qu’après tout elles ne sont peut-être pas si petites.[2]» Après m’être retournée sur moi-même, j’ai pu enfin voir le monde à travers mes propres yeux, purifiés de la pression du regard de l’autre. J’ai pu recevoir ma vie les bras grands ouverts «comme la plus grande richesse[3]», comme une renaissance. Il faut se détourner de l’autre pour mieux lui revenir et avoir enfin les bras chargés du monde à lui offrir.

Mon père m’a dit que si j’aimais de nouveau, peut importe qui, je devrais toujours me garder une petite place pour moi et moi seule où je ne laisserais entrer personne. J’avais peur de suivre ses conseilles parce que c’est en me donnant totalement que je crée. Mais il avait raison. Cet endroit c’est le lieu de l’écriture même qui ne peut être offert qu’en étant préservé.

12h00 pm : Je lis la citation qu’Alphaducentaure a écrite sur twitter : «Je crois qu’aimer, c’est voir.» -Duras -

Cette phrase me percute si fort que je reste devant mon écran, la bouche ouverte. Après avoir tant lu et étudié Duras, elle m’avait échappée cette petite perle toute pleine de lumière. Voir, ce n’est pas ce regard de surface qui affleure, mais ce regard actif qui participe de ce qu’il observe en le recréant. Voir c’est arriver à redonner à la vie, alors même qu’on la reçoit. Et c’est un effort constant, un effort d’amour et de gratitude. Je me souviens de ce conducteur d’autobus Orléan Express. Il souriait à tous les passagers qui montaient. Avant de s’installer au volant, il a enlevé sa veste et l’a déposée sur un crochet derrière son banc. Puis, il a retiré sa casquette qu’il a placée par-dessus et sans se presser s’est assuré qu’elle tenait en place et que la veste en dessous était bien droite. Enfin, avec la même délicatesse, il a lissé sur son crâne, ses cheveux absents. Écrire, c’est redonner cette apparition au monde. Je veux être le filtre qui va porter cette vision dans l’âme du lecteur, parce que je porte en moi quelque chose à offrir : j’aime parce que je vois. Je voudrais que le monde entier puisse aimer de cette façon. Dans cet amour, pas de contrôle ni d’abus de pouvoir puisqu’il se laisse doucement envahir par le réel, par ce qu’il aime pour ensuite le rendre au monde, transformé, mais toujours libre. Un amour qui s’applique à voir est un amour qui s’applique à comprendre. Je veux donc donner en offrande cette image du monde tel qu’il est lorsqu’il est passé à travers moi, comme la lumière à travers un morceau de verre poli, sculpté par le temps et les intempéries, mais qui laisse toujours passer la lumière. Parce qu’écrire pour moi est un acte de générosité, un acte d’abandon par lequel l’auteur accepte de donner au lecteur le monde teinté aux couleurs de son âme mise à nu. Je repense à ce «devoir d’impudeur» dont parlait Gil Courtemanche et qui m’a tant marquée. Il a raison, pour offrir au lecteur la vie à travers soi, il  faut accepter de montrer des parties de soi que l’on voudrait taire par peur, orgueil ou timidité. Voilà pourquoi le détachement de l’autre et de son opinion est primordial. Mais si Gil Courtemanche jette son âme en pâture, je préfère donner la mienne comme une offrande. 

Aujourd’hui le 21 décembre 2010, c’est l’anniversaire de Marilyn Bergeron, ma cousine portée disparue. 

Je me suis demandé pourquoi Marilyn me fait écrire. Je sais bien que sa disparition est un sujet dramatique qui peut interpeller les âmes sensibles, mais je ne crois pas qu’il s’agisse de cela. J’aime écrire sur les autres parce qu’ils sont un constant sujet de fascination et d’étonnement. Leurs plus petits gestes contiennent l’entièreté de la vie humaine et c’est mon principal sujet de préoccupation : comment la totalité de l’existence humaine peut-être contenue dans la caresse posée sur le dos d’un chat ou la langue tirée à un ami qui passe. Mais je sais aussi que ma volonté d’écrire sur Marilyn est étroitement liée au temps qui passe. Plus les années avancent, plus Marilyn se transforme en portrait figé dans ma mémoire et je ressens le besoin de fixer tous ces infimes détails qui font son humanité et sa singularité. J’écris Marilyn pour ne pas la perdre totalement, pour qu’elle continue d’exister au-delà de la réalité qui nous l’a arrachée si brutalement. 

14h00 Chez ma mère, je regarde la vidéo de l’éclipse lunaire sur youtube.  

Pendant un cours instant, j’ai l’impression de sortir de moi-même, «d’embrasser le monde en un seul acte de compréhension[4]». Soudain mon focus passe de ce qu’il y a de plus infime à ce qu’il y a de plus grand et je pense à mon amour inconditionnel des mythes grecs. Dans leur volonté d’expliquer le monde, ils ont tissé des histoires magnifiques qui mêlent l’intime à l’infini. Mais au-delà de vouloir comprendre les phénomènes physiques de la vie, les mythes parlent de la mort. Plus encore, ils sont une manière de la dépasser en fixant dans le temps des histoires et des personnages qui dureront par delà la vie de leurs créateurs. Les mythes sont le meilleur exemple de la création comme façon de dépasser la finitude de la vie humaine. Ne perdurent-ils pas depuis des milliers d’années? Ce désir de préservation touche à l’universel. 

Je lis : «La richesse d’un texte tient aux reliefs successifs que le temps permet d’y trouver. Les «grands» textes, les textes qui marquent, sont ceux dont le sens ne s’épuise jamais.[5]» Je me dis, comme ça, que je devrais regarder plus souvent les étoiles. Pour m’oublier un peu et laisser immerger l’universel. 

23h25 Je finalise et conclue cet essai 

J’ai pris une simple journée comme point de départ, parce que, comme je l’ai dit tout au long de ce texte, écrire sur le plus petit me fait évoquer le plus grand. Savoir voir les détails, c’est savoir rendre hommage à la vie dans son entièreté. J’aurais voulu parler aussi du désir, mais j’ose espérer qu’il a transparu à travers ces lignes parce que c’est lui et lui seul, muté en amour qui me fait écrire. Je terminerai donc sur cette citation d’Yvon Rivard : «Si l’univers est une œuvre vivante, un changement permanent de formes, si on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, il faut redonner au désir toute sa réalité, il faut que le réel soit engendré par le désir.[6]» 

Il m’arrive parfois de ne plus distinguer la littérature de la vie, parce qu’elles sont intrinsèquement unies, parce que la littérature EST «le réel engendré par le désir[7]». 


[1] Virginia Woolf, Une chambre à soi, Paris, Éditions 10/18, 2005, p.135

[2] Ibid, p.139

[3] Yvon Rivard, Une idée simple, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2010, p.147

[4] Virginia Woolf

[5] Thierry Hentsch, Raconter et mourir, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2005, p.13

[6] Yvon Rivard, Une idée simple, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2010, p.106

[7] Ibid, p.106



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