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De l'apprentissage du dessin 8

Publié le 13 janvier 2011 par Headless

Le tout et la partie

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"Every line means something." "Chaque ligne signifie quelque chose." Jean-Michel Basquiat

Ce qui fait la cohésion d'un dessin est assez subtil, c'est le rapport des parties à l'ensemble. On pourrait utiliser la métaphore du corps, d'une architecture ou encore de l'arbre. Si il y a de trop grands écarts entre les différentes parties et le tout, cela casse l'équilibre de l'ensemble. Un peu comme si un arbre était composé de différentes essences ou que ses différentes parties n'étaient pas jointes (le tronc au sol, les branches au tronc, et les feuilles aux branches. 

Ce qu'on cherche ce sont des liens entres tous ces éléments pour que la "sève" puisse circuler des racines aux feuilles et non pas une simple juxtaposition de fragments sans rapports. Le dessin est un artefact, mais une construction artificielle qui doit prendre vie. Picasso disait : "La peinture, ce n'est pas copier la nature, c'est travailler comme elle" et Paul Klee de préciser "l'art ne représente pas le visible, il rend visible".

Comment dépasser la copie pour créer un dessin qui ait sa propre organicité (une vie non empruntée mais autonome)? La simple addition de fragments ne suffit pas toujours à créer un tout harmonieux, il faut une vision d'ensemble qui donnera le ton, la "sève" entre le tout et la moindre de ses parties. 

Concrètement, si j'utilise des styles ou techniques trop contradictoires ou différents, cela peut nuire à l'unité de l'ensemble (surtout si c'est par défaut. Si cela est voulu, cela peut créer au contraire des effets intéressants. Mazzuchelli dans "Asterios Polyp" adopte différents styles pour exprimer son propos de façon nuancée et pertinente, logique que l'on trouve aussi chez Chris Ware). Ou bien si la maîtrise du trait, sa logique n'est pas la même sur l'ensemble des parties ou que des faiblesses graphiques se juxtaposent à des zones plus réussies (ou encore des problèmes de proportions dans certaines zones). Autrement dit, il faut tenir son dessin du début à la fin. Cela vient avec l'habitude.

Et c'est une étape assez désespérante que celle où l'on parvient à dessiner certaines choses ou parties (une table, une main) mais pas certaines autres (un visage, un pied), qu'on ne parvient pas à "greffer".

C'est aussi le point de départ de la quête de Giacometti et son désarroi face à une figure qu'il percevait à la fois de façon très proche et très lointaine ("La forme se défait, ce n'est plus que comme des grains qui bougent sur un vide noir et profond, la distance entre une aile du nez et l'autre est comme le Sahara, pas de limite, rien à fixer, tout échappe.").

Ce qui est important c'est de mettre en place une logique à laquelle on puisse se tenir. On pourrait parler aussi de style, de choix de tels outils ou techniques. A mon sens l'organicité du dessin (sa capacité à créer des "corps" dotés de vie) doit beaucoup à ce qui se passe entre le papier et la main : façon de tenir son outil, inclinaison, nature du papier (on peut penser à la graphie personnelle développée par chacun en écrivant). Quand on hésite au début, cela se perçoit dans la production dessinée, cela affecte l'harmonie entre les parties et le tout.

En apprenant à se connaître (graphiquement parlant mais aussi intellectuellement, esthétiquement), on développe un angle de vision, une façon de faire, une sensibilité. Un peu comme un comédien ou un chanteur travaille sa voix pour dépasser les couacs, les tons empruntés afin de trouver sa propre voix. Plus on a un univers intérieur (imaginaire) construit, plus cela se voit à l'extérieur.

Le débutant se cherche et désespère de se trouver. C'est un peu comme l'apprentissage de la conduite d'une voiture, on se demande comment on va pouvoir faire toutes ces choses en même temps. Puis on finit par les faire sans même y penser.

La problématique abordée ici prend toute son importance dans le travail de l'auteur de bande dessinée pour créer une case, une planche, une double page,  un récit (ensemble composé de parties) le tout mis en perspective. Idem pour l'écrivain, le peintre, le cinéaste, etc.

Le dessin doit devenir une seconde nature. Les problèmes de dissonances entre le tout et la partie sont alors réglés. Ce qui sort "sonne" juste. Le trait produit sa propre sève. Dessiner c'est créer une deuxième réalité, à partir de la première mais avec ses propres règles. D'où la difficulté. 


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