C'était la réception de sa vie. Combien de fois avait-elle rêvé de pouvoir inviter si nombreuse et élégante compagnie ? Que d'efforts dépensés en ce sens, qui enfin trouvaient leur juste récompense ! Elle se sentait flotter au nirvana, comme lorsque, petite, elle regardait les aventures de Tom Sawyer à la télévision.
Là-bas, du côté des tables à cocktail, Julien venait de pincer légèrement les hanches de Dorothée, avec un sourire malicieux. Qu'ils étaient mignons, tous deux, à se chamailler en poussant des petits cris.
Il y avait aussi son amie Louise, dont la si belle robe venait de se faire tâcher par un petit-four à la crème. Elle avait les traits un peu tirés, d'ailleurs, peut-être était-ce lié à sa récente rupture. Elle n'avait même pas obtenu de pension ! Qu'importe, c'était un réel plaisir de la voir ce soir-là. Sa robe était tout de même un peu ostentatoire.
Quelle joie également c'était de retrouver Giuseppe ! En dépit de son accident de tondeuse qui lui avait définitivement fauché les deux jambes, il conservait cette bouille charmante et espiègle, un peu ingrate il est vrai, mais si drôle à regarder. Il semblait un peu perdu, sur sa chaise roulante, son carrosse comme disait son hôtesse en riant de ses dents magnifiques et blanches.
Elle avait bien fait de ne pas commander trop de champagne, car seuls Alexandre et Jean semblaient en manquer cruellement. Les autres se rabattaient sans montrer trop de répugnance sur les bouteilles d'eau minérales généreusement laissées à disposition. L'essentiel était évidemment la conversation.
Julien regardait d'un air passionné l'écran de son iPhone, il avait la joue droite assez rouge. Quelques mètres plus loin, Dorothée regardait le cadran doré de sa jolie montre, les yeux brillants et animés.
Elle avait bien fait de ne pas inviter Jérôme, il ne se serait vraiment pas senti à son aise dans ce milieu. Il était trop gauche et sa conversation était trop passionnée pour être acceptable. Il avait trop l'air de croire à quelque chose, et c'en était gênant pour les autres, comme pour elle-même à vrai dire. Elle n'avait jamais pu le sentir, en fait.
Cependant, son hypocrisie ne put durer toute la soirée. Au bout d'une heure du matin, elle dut bien se forcer à reconnaître que l'ambiance était moisie, que le hideux Giuseppe n'avait pas d'amis et n'en aurait jamais, que le séducteur du dimanche Julien avait provoqué le départ hâtif de la pimpante Dorothée, que Louise était démoralisée alors qu'elle portait une plus belle robe que la sienne, bref, que rien ne marchait comme prévu.
Ah ! Si seulement Gustave Borjay avait été là, ne fut-ce que pour dire :
Gustave Borjay vous salue.
Et pourtant, les cotillons avaient rencontré un succès indéniable.