Ceci est la suite de l’anecdote narrée dans l’article “ Raclures, clopes et Usual Suspects. ” : une histoire croustillante que je ne peux que vous inviter à relire avant de vous plonger dans ce qui va suivre.
Pour ceux qui ont la flemme, un petit résumé s’impose : nous avons, au sein de nos établissements scolaires, quelques petits problèmes avec le tabac. Ainsi, souvenez-vous, arrivait-il à ce bon vieux Kevin d’amener à l’école son paquet de clopes.
Alors oui, c’est vrai, ça surprend la première fois. Moins la deuxième. Arrive même un moment où on n’est plus vraiment étonné. Bon, j’avoue, entendre un mouflet de Ce1 dire qu’il a déjà fumé ça reste quelque chose d’assez surréaliste. Mais en cherchant bien, on doit encore pouvoir trouver plus jeune.
Faisant preuve de pragmatisme (certains diraient de radinerie, je préfère pour ma part les termes « circonspection pécuniaire ») ; ma première réaction est souvent de me demander comment font-ils pour se payer des cigarettes à leur âge ? C’est seulement après que j’envisage l’existence éventuelle de dysfonctionnements familiaux et autres carences éducatives…
Je disais donc que, mine de rien, on s’habitue à ces petites infractions au règlement intérieur de l’école. Là où vraiment ça surprend, c’est quand le gamin ne se contente pas de fumer. Non m’dame. C’est quand il est carrément accro !
Alors dans la série on ne change pas une équipe qui gagne ben on reprend les mêmes protagonistes que ceux de l’anecdote citée ci-dessus. À savoir ce bon Kevin et moi-même. Car effectivement il s’agit du même Kevin, de la vraie graine de champion. Vous rajoutez autour de nous une vingtaine de figurants d’une dizaine d’années et vous aurez une vision relativement juste de la situation.
La journée s’annonce classique : math, français… La routine quoi. C’est ça qui est chouette avec les kevinades, c’est qu’on ne les voit pas venir ! Seul élément un peu original, l’utilisation de la salle des fêtes pour faire un peu de sport. À défaut de gymnase, on fait avec les moyens du bord.
Du coup c’est l’expédition : il faut conduire les fauves à travers les méandres des rues du village. Il s'agit de ne rien laisser au hasard. Bouclier anti-émeute, taser. Oublier ses réflexes urbains pour en revenir aux fondamentaux : passage piéton, trottoir… Se servir d’un lexique simple et accessible : « stop ! », « traversez ! »… Un mot de trop et c’est le drame. Vigilance, sens aux aguets…
Vous savez ce qu’il y a de pire que marcher dans une merde de chien ? C’est un de vos élèves qui marche dans une merde de chien, en plus ça porte même pas bonheur.
Je mène donc mon troupeau groupe vers la
cible, d'une main de fer dans un gant du même métal. Mode roi de la route version Nonne Troppo. Non, mieux, en mode guerrier de la route, genre Mad Max dans son Interceptor.
L’asphalte est mon domaine, je décide de la cadence, je dis qui va devant, je fais et je défais les rangs à ma guise. Je leur fais faire ce que je veux ! Hahaha ! Purée c’est déjà agréable d’être le Big Boss dans la classe, mais maintenant qu’on est dehors c’est encore mieux. Je suis grisé, mes cheveux volent au vent, il ne manque qu’un autoradio et le doux son d’Highway to Hell des AC DC pour avaler les kilomètres!
Alors évidemment, j’entends d’ici les esprits chagrins venir me dire qu’il est assez étrange pour ne pas dire déconcertant de constater que je m’enflamme à ce point alors que finalement, je suis à pince, en compagnie d’une classe de marmots dont au moins deux ou trois membres font les guignols dans mon dos… Certes. Effectivement.
Mais j’en ai rien à foutre, parce que c’est moi le patron,
et que si j’veux je peux même demander aux gosses de faire le bruit du moteur avec la bouche! Hahaha ! C’est moi qu’je suis le roi de l’asphalte ! VROUM! VROUM!
...
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Pardon.
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Désolé.
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Reprenons, pour ceux qui sont encore là, le cours de notre histoire. Nos pas nous amènent tout naturellement vers notre objectif : la salle des fêtes. Pendant une bonne heure nous y pratiquons avec sérénité l’activité prévue. Activité qui n’a, dans ce contexte précis, aucune importance. Vient alors le moment du départ, du retour vers l’école.
Je vous rappelle au passage que le thème abordé aujourd’hui est le suivant : « la dépendance psychique et physiologique aux substances addictives à base de certains types de plantes de la famille des solanacées chez les hominidés de moins de dix ans. » Voila, ça vous revient ? Attention, je cause depuis un moment mais l’anecdote est en fait très rapide : soyez vigilants !
Tout le monde est bien rangé, nous sommes prêts à partir. Un rapide passage en revue de mes troupes m’informe que Kevin est en dernière position. Bon, je sais où je vais devoir concentrer mes efforts de surveillance. La colonne se met en marche et entame son périple vers l’école. L’incident se produit dans les 30 premières secondes, non, ça n’aura pas traîné !
Je me retourne, pour voir mon bon Kevin seul, dix mètres derrière le groupe, devant la porte de la salle des fêtes. Quand il me voit il court vers nous, l’air coupable.
Punaise je suis encore obligé de faire une digression : mon conseil aux débutants (ça faisait longtemps !). Un gamin qui a l'air coupable l'est-il nécessairement?
Quand on débute et qu’une connerie est faite, on est encore un peu une brêle en psychologie infantile : du coup celui qui prend, c’est le gosse qui nous fait suer en permanence, celui qui nous les brise, celui qui a une tête de coupable parfait. Choix par dépit mais choix logique, une nouvelle affaire de résolue. Alors oui, celui qui a l'air coupable l'est.
Quand on a de la bouteille comme votre serviteur, on navigue parfaitement dans les arcanes de la psyché de ces petits êtres pervers et malsains que sont les enfants : du coup, celui qui prend, c’est aussi le gosse qui nous fait suer en permanence, celui qui nous les brise, celui qui a une tête de coupable. Mais cette fois, c’est un véritable choix assumé voire revendiqué, parce que de toute façon s’il est innocent de ce dont on l’accuse, ce p’tit con aura forcément quelque chose à se reprocher quand même!
Mais revenons en à nos moutons : Kevin nous rejoint, avec le mot coupable qui clignote sur son front. Je regarde l’endroit où il se trouvait, je le regarde lui, il serre le poing très fort, et là, tout se met en place. C’est énorme ! Suivez le guide.
1) La porte de la salle des fêtes ne reste pas ouverte toute seule.
2) Du coup pour la maintenir, on utilise un grand pot en fer rempli de sable.
3) De plus, dans la salle des fêtes, il n’y a point le droit de fumer.
4) Par conséquent, les gens utilisent ce fameux pot de fer en guise de cendrier.
5) Donc le pot est rempli de mégot.
6) Et comme Kevin sert le poing…
Hypothèse n°1 : Kevin n’a plus de clopes, il a bien l’intention de se fumer un petit mégot plus tard.
Hypothèse n°2 : Kevin est accro, il a bien l’intention de se fumer un petit mégot plus tard.
Hypothèse n°3: J'ai bien du mal à comprendre mais il semblerait que Kevin ait l'intention de se fumer un petit mégot plus
tard.
Quand finalement Kevin finit par ouvrir la main, bingo ! Il s’agit bien d’un mégot !
Alors amis lecteurs, en tant que non-fumeur invétéré, j’ai besoin d’être rassuré : à vous tous les gros fumeurs, dites-moi que fumer un bout de clope déjà fumé par une autre bouche, que dis-je ! Déjà suçoté, mordillé, puis jeté parmi les ordures et autres crachats voire raclages de gorge… dites-moi, au nom de tout ce qui est beau sur cette planète, dites-moi que ce n’est pas normal ! Il en va de ma santé mentale…