Magazine Journal intime

Un balcon en forêt

Publié le 23 février 2011 par Cjhenry

Humeurs

   Feu vert (Crédits photographiques : CJH.)

   Tout à la fois romane, gothique, baroque et rococo, austère et flamboyante, sobre et insolente, la forêt est assurément la seule cathédrale digne de l'être (verbe et substantif), regorgeant de reliques simples et de trésors spectaculaires, d'absidioles inédites, de nefs improvisées et de chœurs inattendus, de portails improbables et de tympans incomparables, de vitraux infalsifiables et de tabernacles inviolés... La forêt, il faut la croire, l'écouter, la pratiquer ; il faut  la caresser, l'embrasser, la sentir, l'aimer ; il faut la servir aussi (et non l'asservir), la domestiquer, l'entretenir, la soigner, en (lui) rappelant sans cesse qu'elle n'est pas la jungle, en tout cas qu'elle ne peut être assujettie à sa loi... Au passage, stipulons et diffusons que la déforestation sonne toujours comme le podrome de la déshumanisation, d'autant, n'est-ce pas, qu'« il y a plus dans les forêts que dans les livres », selon le joli mot attribué à Saint Bernard...

   Oui, je confesse prétendre que celles et ceux d'entre nous qui jamais ne se mettent au vert, ou bien qui ne vont s'oxygéner dans les bois qu'une fois l'an comme on fait son p'tit tour rituel au Salon de l'Agriculture, qui fuient comme la peste l'apaisante compagnie des arbres et des oiseaux, des buissons et des ruisseaux, la complexité ferroviaire des chemins et des sentiers, et que sais-je encore, ne s'avèrent pas foncièrement fréquentables... Développons : celles et ceux d'entre nous qui ne se cantonnent qu'à la ville, nouveau désert de l'époque, et la ville avec ses rubans métalliques aux relents de pétrole brûlé, ses affiches racoleuses et ses enseignes tapageuses, qui ne se cramponnent qu'au béton (souvent armé), qui, englués dans les afféteries commerciales et les assuétudes consuméristes, plastronnent dans le bruit et la fureur, qui déconnent (et déconnectent) en « fric-frime-fringues » dans l'attente d'un hypothétique quart d'heure warholien, qui claironnent la possibilité d'une île régénérante passant outre le salutaire compagnonnage des bruyères, clairières, conifères et autres fougères, qui s'empoisonnent dans leur canapé sur fond d'écrans qui chauffent quand d'autres tisonnent sur la canopée les braises laissées par le soleil, tôt ou tard en paient le tribut avant d'en faire pâtir autrui... Ce sont alors acrimonie, agressivité, angoisse, colère, jalousie, lourdeur, méchanceté, stress, violence, vulgarité, débordements et infatuations de toutes sortes, et même asthme chronique et bonchites à répétition (voyez nos enfants), qui barbouillent la surface des jours et des nuits obligeant toutes les couleurs à se fondre et se confondre en une masse aigrise et grise...

   Cependant, loin de moi l'idée de prôner un retour à je ne sais quelle savane unanime ou toundra globalisante, un retour aux racines – après tout, les racines ne soutiennent rien d'autre que les arbres, donc des espèces immobiles –, un retour à la souche et aux sources, au terroir et à la terre... Chasse-Pêche-Nature-Tradition très peu pour moi, et l'on sait hélas ! où toute cette mélasse peut (et veut) nous propulser : le bidet Travail-Famille-Patrie... En revanche, pourquoi ne pas établir des passerelles (et des passages secrets) entre nos puzzles de troncs et d'houppiers, de feuilles et de fleurs, et nos meccanos d'acier et de ciment, de fer et de verre, passages qu'il nous serait loisible d'emprunter à discrétion, sans aucun laissez-passer... ? Vous me suivez ?


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