Magazine Journal intime

À la fête

Publié le 25 février 2011 par Cjhenry

Humeurs

Scène de manège (Crédits photographiques : CJH.)

Quelques mois que je l'ai rencontrée, ou bien plusieurs semaines, ou bien treize heures, ou bien sept secondes, ou bien une année, ou bien un siècle, ou bien rien, je ne sais pas, je ne sais plus, dans ma tête et dans mes tuyaux tout se fait et tout se défait, tout fond et tout se confond, et c'est ainsi que tout s'effondre et que tout se fonde...   

Elle ne me laisse pas tranquille, m'empêche de dormir, écrit mes cauchemars, fabrique mes rêves, m'astique et me mastique, m'accélère, me rembobine, me confine à l'état de veille, me proscrit les pauses, m'autorise les poses, en permanence me fiche, me file, me filme et me flique, elle me flingue, elle me prend la main, souvent me prend par la main, parfois passe la main, me fait longer les eaux tranquilles du fleuve totalitaire, me lance des promesses d'océan, de grand vent, de vaste horizon, me détourne des eaux tumultueuses, m'englue dans le cours liquide en crue, m'emporte au large, me fait chavirer, me retient captif sur son île, me prodigue de beaux gestes et me promet de beaux restes, elle me câline, me protège, me questionne, me renvoie à mes chères études, à mon silence-refus et à ma solitude-refuge, me fait bouffer mes régurgitations, boire ses poisons, se gausse de ma souffrance, se moque des convenances, se fiche des circonstances, se fout des contingences, elle fait les poubelles, (s'é)puise dans les sacs à merde, se goberge dans mes bacs à linge (sale), fourre son nez dans le plus insoupçonné (et insoupçonnable) de mes corridors intraveineux, agite le bâton et la carotte, manie le chiffon rouge comme le drapeau blanc, collectionne mes crottes de terre, cire mes bottes secrètes, expose mes déchets organiques à la vindicte populaire, exploite mes écouteurs, explose mes forfaits, expurge mes efforts et mes faits d'arme, élucubre, m'enlise et m'encule, me casse les couilles, me fout la trouille, de la cave au grenier fouille et refouille, me fait bredouiller, me fait rentrer bredouille, tient mon dossier à jour, expédie ses rapports à l'heure, me porte, me supporte, mais toujours rapporte, se lie avec le sublime, se ligue avec le spectacle, elle me sous-traite et me soustrait, me sous-paie, me piétine, me pollue, elle abreuve mes souvenirs et me nourrit l'âme, elle me pourrit la moelle, elle me tord les boyaux, me troue le cul, me triture les tripes, me pompe le dard, me dore la pompe, me suit, m'essuie, me poursuit, elle se cogne à moi, se frotte à moi - mais ne s'y pique pas -, fait ça comme personne, elle me rouille, me souille, me mouille, elle se mouille aussi, elle m'attire, m'attise, me tire, m'étire, elle me nargue, tous les jours elle me largue et tous les jours elle me recrute, elle me laisse faire, me fait chier, me fait gerber, elle m'épouse à reculons, mène la noce à tâtons, et ouvre le bal des cons mais demeure incapable de me répudier, elle fait de moi son bijou, sa fève, son poil, sa plume, elle est mon grain de sel, mon gorille, mon épée, mon épice, mon épouse, mon épouvantail, mon épreuve, elle est mon grain de sable - évidence ! -, elle est ma cervelle, mon cœur, mon foie, mes poumons, ma rate, mon sucre festif, le sel de ma vie, mon suc digestif, mais elle est aussi la crasse incarnée, le désordre intégré, elle est une fêlure traumatique, un foutoir hystérique, un fatras magnétique...   

Je m'éloigne - elle me montre son derrière, écarte les cuisses, crie, exhibe ses seins de feu (et de glace), s'exalte, exulte, c'est une sainte qui (me) touche, une salope d'autel, une vierge trouée, c'est, elle est, une déesse travestie en diablesse elle-même déguisée en messie, elle est songe et mensonge, projectionniste du vide et dialoguiste du pire, elle est mon bâtonnet d'encens, ma bougie au soleil, mon cierge émasculé, elle pue, elle me lèche et elle me suce, me tourne et me retourne, ses caresses me détournent, sa tendresse m'enfourne  (et me rend fou), elle m'excite, m'exhorte, et finalement m'expulse bien au-delà de ses territoires en jachère (déjà), elle est ma fraîcheur, mon frémissement, ma fièvre, mon frisson, elle est aussi ma recette, mon remède, ma réserve, ma ressource, elle est mon enfer quotidien, mon paradis perdu, ma crèche sélénienne, mon cimetière marin, elle est mon saint chrême suprême, ma cyprine divine, elle s'immisce jusque dans ma salive, mon sang, mon sperme, ma sueur, « sssssssss » dit-elle, elle est le serpent, c'est une vipère au point, un boa destructeur, une couleuvre, elle est mon oiseau des îles, mon aigle royal, mon albatros revenu, mon choucas abandonné, ma colombe estropiée, mon dodo génocidé, mon retour des cigognes, mon hirondelle primesautière, mon puffin métissé, mon vautour en suspens, elle est évidemment mon perroquet, elle est mon cheval de course, ma jument verte, mon innocent poulain, mon cheval de trait, mon cheval de Troie, mon chevalier d'Eon, ma transsexuelle de la matière, ma Louise Michel, ma Marie Marvingt, ma Mata Hari, elle est ma cigarette du condamné, mon tabac froid, mon cendrier souffrant, mon antalgique, mon antidépresseur, ma came, mon eau fraîche, mon narcotique, mon vinaigre, mon viagra vulgaire, ma dragée haute, mon bonbon, elle est bonne poire, peau de banane, et c'est aussi une pomme, une pomme d'amour, mon sermon du jus de pomme, ma rainette pressée, ma golden girl, ma peau, ma pulpe et mes pépins, c'est une carne, une larve, une conne, une corne (d'abondance), une crosse, et c'est une bête à corne et ce sont des coups de crosse, elle est grosse et grossière, elle est son propre complexe, elle est illisible, indicible, invisible, indéfrichable et indéchiffrable, elle est mère, sœur, amante, pute, reine et sainte, elle est lune dans le caniveau des choses et soleil dans le tabernacle des vivants, elle est la tôlière du truc embrasé, la groom service de l'ancestral secret, la femme de ménage du miracle monstrueux, elle est la caissière, la tête de gondole, la promotion du jour, c'est un centre commercial, un complexe non commercial, un chariot métallique aux roulettes de cristal, un chariot qui déborde de fruits défendus, de légumes brillants, de viandes grasses, de vins capiteux, elle est l'entrée dans la fête, elle est une entrée de fête, elle n'est pas hors d'œuvre, elle est chef d'œuvre, plat de Résistance, elle est une farandole de desserts, ma bolée de miel, mon bol d'air, ma compote industrielle, ma propre pomme de discorde, elle est mon économie, ma politique, mon plan b, ma stratégie, mon armée de réserve, ma chapelle, ma cathédrale, mon divan, mon divan le terrible, elle est ma centrale thermique, mon réacteur nucléaire, ma pile électrique, mon courant alternatif, ma lanterne magique, elle est un réverbère dans la nuit, oui, c'est exactement ça, un réverbère dans la nuit, elle est un phare, elle est accro, elle a les crocs, elle est à cran, elle est une accroche, elle est écriture, écrit vain, une clocharde céleste, une cloche muette, elle est omnivore, elle est exclusivement carnivore, elle est mon frontispice, mon péristyle, mon tympan, mon blason, ma clé des champs, mon cadenas tout terrain, elle est mon anacoluthe, mon anaphore, mon apocope, mon oxymore, elle est mon synonyme, mon solaire solécisme, elle est ma bouée et elle est mon buvard, elle est l'essence et le sens, elle est l'absence hélas, elle n'a pas mais elle est...  

Elle est tout ça ?  Bien sûr que oui et bien sûr que non. Je veux bien te la montrer, et, si tu es sage, c'est-à-dire assez timbré pour l'être, tu pourras la monter, à ta guise, je vais te faire entrer dans sa notion, son concept, sa valeur, son amphigourique définition, son énigmatique surnom, les arcanes et les méandres de tout son cirque...   Évidemment je n'ignore pas leurs fusils d'assaut braqués sur nous autres, moutons neurasthéniques,  je sais leurs grottes à fromages moisis, leurs grandes et laides toiles de maîtres chanteurs, leurs jalousies ataviques, leurs enfances étouffées, leurs comptabilités truquées, leurs boutiques de pastiches et de postiches, leurs incompétences érotiques, mais je m'en tape et m'en taperai jusque dans la tombe, et l'on oubliera ma tombe, et l'on oubliera la tienne, tu verras...   Allez, j'y vais, je fonce, j'enfonce, et j'enfonce même les portes ouvertes...   Pour la voir, la sentir, la toucher, l'écouter, la goûter, pour lui sauter dessus, la baiser dans les eaux limpides du fleuve (les eaux, finalement, sont limpides), pour lui faire l'amour, ne pas oublier son image, son visage, et jusque son âge, pour enfin la guider dans tes sentiers tortueux, et, en fin de compte, pour lui demander sa main tout en lui donnant la tienne - et peu importe les retombées, les rancunes, les remords, les rapports au siège (social), les renvois empoisonnés d'ascenseur énervé, les remember et les remake, les retours en arrière et les retours de bâton -, oui, pour tout ça, accepte, frère (ou sœur) de chair, d'os et de sang, de la découvrir dans sa crudité, dans sa nudité ; oui, avant de claquer, clique ici et maintenant...


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