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La jeune fille et la guerre

Publié le 07 mars 2011 par Yannbourven
La jeune fille et la guerreImage : Francis Bacon
Oh oui je m'y vois, dit-elle
Ma ville vient d'être bombardée par l'armée bourgeoise
Ma mère est morte et la guerre m'a faite abstraite
M’a projetée sur cette plage déserte
Je me roule dans le sable et derrière moi
J’entends les explosions d'obus et le rire de ma mère qui me crève les tympans
Je me relève, me dirige vers les dunes hilares
Une main tremblante surgit du sable, et me serre la cheville
J’essaie de me dégager,
Je me recule,
Je frappe les doigts ridés à coups de pied,
Mais rien n'y fait
Un bras entier sort du sable,
Puis un corps léger et écorché que je traîne
Le corps de ma mère déterré qui se réveille
Elle me lâche le pied et se lève d'un coup :
Son crâne est fendu en deux,
Sa cervelle garnie de mouches à merde dégouline sur ses lèvres vertes
Elle rit sans cesse, me montre du doigt et rit encore,
Se foutant éperdument de la guerre,
Elle rit,
En fustigeant mon père qui a abandonné le foyer depuis une dizaine d'années,
Elle se moque des mâles et me prédit une vie bête,
Sans saveur, vie de routine, d'asservissement, d'ennui et de surconsommation
Elle se prend les seins à pleines mains, se les arrache,
Les jette contre le barbelé en m'ordonnant d'aller sucer son lait caillé
Alors je m’enfuis
Et je m'approche de la mer :
Fixant l'horizon sanglant
je me mets à prier plusieurs dieux en même temps
Rien ne m'arrive à cet instant
Je ne disparais pas
La guerre n’est plus très loin
Cette mer hostile ne me protégera pas
Des soldats me crient de me retourner et de me rendre immédiatement
Un soleil artificiel diffuse un film de neige,
L’Histoire se désagrège,
Je traverse un champ de crânes de moutons et d'amphores brisées

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