Je me suis levée ce matin et voilà, c’est arrivé. Tout était simple. J’ai parlé avec le chien. Je lui ai caressé son coco doux. J’ai trouvé deux bas pareils. J’ai fait la première sortie quotidienne avec Madame Wendy qui doit aller dehors le matin pour éviter de chier dans les coins. Une petite neige fine. J’ai fait le café. La première gorgée était parfaite. J’ai écouté de la musique. Bon Iver et j’ai trouvé que cela était beau. J’ai travaillé sur certains dossiers pour le boulot. Ils ont avancé. Pour déjeuner, j’ai repoussé l’ordinateur. J’ai mangé mon petit croissant. Ma confiture goûtait le ciel. J’ai lu Carver Tu veux que je te fasse voir quelque chose. C’était parfait. Il réussit à mettre dans ses nouvelles exactement le genre de choses qui rendent la vie impossible. Étrangère. Ce qui fait que parfois on s’arrête et on regarde en se disant : «tout ça est-il bien réel ou s’agit-il là d’un décor de cinéma?» Puis j’ai lu Pessoa et j’ai trouvé le lieu littéraire du recueillement dans cet extrait :
«Je ne crois pas en Dieu car je ne l’ai jamais vu.
S’il voulait que je croie en lui,
Sans nul doute il viendrait me parler
Et entrerait chez moi par la porte
En me disant Me voici!
(Cela est peut-être ridicule à entendre
Pour ceux qui, ignorant ce que c’est que regarder les choses,
Ne comprennent pas celui qui parle d’elles
Avec cette façon de parler enseignée par l’attention aux choses.)
Mais si Dieu est ceci : les fleurs et les arbres
Et les monts et le soleil et le clair de lune,
Alors je crois en lui,
Alors je crois en lui à toute heure,
Et ma vie est toute entière une oraison et une messe,
Et une communion avec les yeux et par les oreilles.
Mais si Dieu est ceci : les arbres et les fleurs
Et les monts et le clair de lune et le soleil
Ça me sert à quoi de l’appeler Dieu?
Je l’appelle fleurs et arbres et monts et soleil et clair de lune;
Parce que, s’il s’est fait, pour que je le voie,
Soleil et clair de lune et fleurs et arbres et monts,
S’il m’apparaît comme étant arbres et monts
Et clair de lune et soleil et fleurs,
C’est qu’il veut que je le connaisse
En tant qu’arbres et monts et fleurs et clair de lune et soleil.
Et voilà pourquoi je lui obéis,
(Que sais-je moi d’autre de Dieu que Dieu lui-même?),
Je lui obéis en vivant spontanément,
Comme qui ouvre les yeux et voit,
Et je l’appelle clair de lune et soleil et fleurs et arbres et monts,
Et je l’aime sans penser à lui
Et je le pense en voyant et en écoutant,
Et je vais en sa compagnie à toute heure.»
J’ai pleuré. Arriver à parler de Dieu avec une telle intelligence. Arriver à parler de Dieu en affirmant qu’on n’y croit pas. J’ai pleuré de joie.
Ce matin c’était facile. Alors, pour tous ces jours où il faut se bagarrer pour être heureux. Où ça sollicite toute notre intelligence. Pour tous ces autres jours, ce matin, j’ai savouré. Simplement.