Dans ma rue...

Dans ma rue, il y a une vieille maison au crépi rouge et aux volets verts toujours fermés.Cette maison est presque en face de chez moi.Cette maison a le côté rétro des maisons de la première moitié du XXè siècle, avec sa petite marquise, son escalier qui mène à la porte d'entrée, son garage sous la maison...Cette maison me rappelle celle d'un petit village corrézien, celle d'un grand-oncle...En passant devant, je pouvais imaginer les odeurs de vieille maison, de vieux meubles, de cuisine mijotée.Si ça se trouve, la maîtresse des lieux détestait passer ses meubles à l'encaustique et ne cuisinait que le minimum mais, moi, j'imaginais comme chez mon grand-oncle et ma grand-tante. C'est le pouvoir de l'imagination et sa prérogative, n'est-ce-pas ?Il y a deux ans, mon patron m'a donné un dossier à traiter.Une dame était décédée quelques années auparavant et son mari venait juste de décéder à son tour. Pas d'enfant, pas d'héritier connu...La recherche, les mois qui passent...Et puis, des frères et soeurs retrouvés, brouillés avec le défunt parce que le mariage qu'il avait fait n'avait pas plu mais on est prêt à tout pardonner quand on hérite. On est même prêt à se dire perclus de remords et à avouer l'envie jamais aboutie de se réconcilier. On est même prêt à s'indigner de n'avoir pu organiser soi-même des obsèques familiales...Mais quand on est sur le point d'hériter...Et d'hériter de quoi, d'ailleurs ?D'hériter de la petite maison vieillotte au crépi rouge et aux volets verts toujours fermés...Et oui, le hasard fait que c'est à moi qu'on a confié le dossier de mes presque voisins...Il a fallu inventorier le mobilier de la maison. Tous les meubles, livres, vaisselle et objets ont été envoyés à la salle des ventes ou directement à la déchetterie et, moi, j'ai récupéré un carton dans mon bureau avec les papiers, les menus objets et les photos...J'ai dû classer, trier, fouiller, pénétrer cette intimité de vieux couple.Les photos de mariage, un peu sérieuses, un peu guindées (à l'époque, il ne fallait pas trop sourire, il fallait bien se tenir).Une fleur séchée soigneusement entreposée dans un petit portefeuille au cuir usé.Quelques bijoux sans valeur, un peu cabossés, un peu usés.Des lettres que je n'ai pas ouvertes.Il a fallu consciencieusement tout examiner et jeter...Jeter ces souvenirs de vie dont il ne reste rien et dont personne ne veut, pas même les héritiers si plein d'amour pour leur frère. Jeter ces petites choses qui devaient être importantes ou sentimentales ou peut-être juste oubliées au fond d'un tiroir...Que va-t'il rester de ces deux vies ?La maison vient d'être vendue à un promoteur.Les bulldozers sont arrivés et ont commencé leur ouvrage.La maison est éventrée et les gravas s'amoncellent.Il subsiste encore des petits détails d'une vie passée et oubliée qui n'ntéresse plus personne.Un lavabo.Un rideau à fleurs qui flotte au vent de ce début de printemps.Quelques restes de carrelage ou de tapisseries fanées.Et le coeur me pique de passer tous les jours devant ce terrain de ruines...Y a t'il quelqu'un d'autre que moi pour m'émouvoir de tout ça ? Dans ma rue, il y avait une vieille maison au crépi rouge et aux volets verts toujours fermés...A bientôt !La Papote