Que manque-t-il à votre récit rigoureusement huilé (c'est du moins ainsi que vous le voyez) pour y insuffler ce soupçon d'âme sans lequel il ne
reste qu'un stérile ensemble d'équations ? Que manque-t-il à votre création pour que le regard du lecteur fusionne avec celui du héros, pour qu'il se retrouve captif dans ce qu'il appellera plus
tard, à coup sûr, la plus grande expérience de sa vie ?
Plutôt que de vous laisser chercher en vain de longues années durant, Gustave Borjay a accepté, dans un élan de générosité d'une envergure sans pareille, de livrer à votre entendement quelques
éléments dont vous avez fort besoin. Be proustian, be sensational !* serait le leitmotiv le moins adapté en l'occurrence, certes, et nous tairons au passage
son manufacturing dont l'intelligence relève typiquement du milieu des écoles de commerce ou de Sciences Po, mais il renferme néanmoins l'idée de base. Comme Proust,
Dostoïevski ou des milliers d'autres, ou ne serait-ce qu'un peu, maniez désormais les sensations pour immerger le lecteur dans votre monde.
Un exemple simple. « C'était une journée banale, avec pas mal de soleil. » Phrase sobre, neutre, mauvaise, à jeter sans regret, ou à laisser aux sémillantes conversations de nos amis les séniors. « Lucien avait une fois de plus l'impression d'être bloqué dans une journée d'une neutralité étouffante. Le plat éclat du soleil l'agressait et le
fatiguait. Il se demanda combien de gouttes d'eau étaient emprisonnées dans les nuages.» La journée reste banale, mais signifie davantage, elle évoque quelque chose.
Un autre exemple. « Cela faisait quinze ans qu'il ne l'avait pas vue. Elle avait bien vieilli.» Pourquoi pas ? Mais sans développement, on perd de la
matière. « A la voir venir à lui, ralentie, hésitante, un léger tremblement à la main droite, il se revit enfant dans la
maison familiale, des années plus tôt, ouvrant la vieille armoire moisie du grenier et sentant venir à lui toutes les effluves humides et poussiéreuses des cent dernières années.»
Évitez pour autant l'avalanche d'adjectifs, car s'il faut immerger le lecteur dans son monde, il faut prendre garde de ne l'y noyer.
Et avant de clore ce modeste billet, qui n'en est pas moins magistral en son genre, terminons avec un dernier exemple en point d'orgue. « Le ciel est par-dessus le toit.» Soit. « L'employé, tassé dans le fauteuil à roues bon marché de son open-space, songea à toute l'immensité des cieux de l'autre côté du toit. Il était
écrasé par les horizons extérieurs, mais il rêvait de s'y perdre à jamais. Le souffle de l'air, il le sentait s'écraser sur sa vitre, il aurait voulu le sentir sur sa peau. Au loin, un collègue
sautait par la fenêtre du onzième étage. Lui, au moins, il était allé la chercher, sa liberté, pensa-t-il.»
Gustave Borjay vous salue.
L'open-space, sa convivialité reconnue, son charme rassurant
*Soyez proustien, soyez sensationnel !