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De l'apprentissage du dessin 14

Publié le 24 juillet 2011 par Headless

La question du style / le rapport entre le fond et la forme

Cette question est associée à celle de l'originalité. On a vu que vouloir faire du neuf est sans doute une illusion et qu'il suffisait d'être sincère et d'exprimer quelque chose de propre à sa vision pour en tous les cas produire quelque chose de différent, de singulier (on pourrait dire dépollué des clichés et des vérités d'emprunts). Il faut creuser longtemps pour parvenir au son de sa propre voix. Mais tout le monde peut y parvenir et chacun à un son de voix unique, au fond. Même les gens les plus atypiques et "novateurs" ont eu une période stéréotypée avant de trouveur leur voix.

Le style est-il un moyen pour cela? Le style est-il une fin?

Le style c'est quoi en fait? C’est proposer une esthétique. Cela renvoie à la relation entre le fond et la forme présente dans toutes productions (graphiques, plastiques, sonores, visuelles...). Tout le monde connaît ou a entendu cette formule du fond et de la forme. Qu'il y a-t-il derrière?

Il y a deux niveaux dans toute réalité : un niveau subtil et caché (on pourrait dire mental) et un niveau manifesté, visible (l'incarnation d'une pensée dans une forme). Dans la pensée Indienne on retrouve le terme de Nama et Rupa (le nom et la forme) qui pourrait s'en approcher : toute chose répond à un nom et à tout nom correspond à une chose. Le nom "vache" et la vache elle-même par exemple. Car notre pensée ne peut faire autrement que de nommer, identifier. Dans le cadre des oeuvres et de l'art il en va de même : il y a toujours un titre à une production (même le fameux sans-titre ou la numérotation sont une façon de nommer).

Ainsi l’énonciation mentale (ou visuelle) et ce à quoi elle renvoie sont deux choses distinctes. « Ceci n’est pas une pipe » comme dirait l’autre.

Et le langage est une superposition de ces deux réalités (conceptuelle et matérielle, invisible et visible). Le dessin aussi. Toute trace, trait, étant à la fois l’indice d’une intention (idée, pensée, énergie, désir) et une forme tangible : l’image (qui a une couleur, une dimension, une forme). Les images ne viennent pas de nulle part, toute forme a un fond, une origine subtile (mélange de pensées, de désirs, d’émotions, d’intentions) qui la fait naître et l’accompagne, comme un message sous-terrain. On dit le fond et la forme, on pourrait dire aussi le projet et sa réalisation. Mais aussi le signifiant et le signifié. Et dans le fond, on trouve l’origine, le sens, la naissance de toute œuvre. On pourrait dire que le fond précède la forme et l’accompagne. C’est pour cela qu’on analyse des œuvres, car leur sens n’est pas toujours donné d’emblée, il faut aller le chercher (jeu de la dénotation et de la connotation).

Prenons un exemple concret : dans Guernica de Picasso, la forme c’est le choix des niveaux de gris et du noir et blanc, les déformations de proportions, le parti-pris de fragmentation des corps, la grande dimension de l'oeuvre… le fond c’est un cri contre la violence aveugle de la guerre, c’est une prise de position personnelle et humaniste de l’artiste, une condamnation qui fait écho à d’autres œuvres similaires (« el tres de mayo » de Goya par exemple). C’est aussi l’affirmation de la supériorité de l’art sur la réalité (ce que le monde fait aveuglément je le vois, j’en témoigne comme l’ampoule dans le tableau qui éclaire les ténèbres) et la prise à partie de notre empathie et notre part d’humanité.

Si par contre on prend une publicité on y trouve de la forme (telle chose filmée, photographiée, tel slogan) et du fond (message implicite pour consommer, identifier, séduire par l’usage de telle association d’idées, tel amalgame, symbolique). Mais le fond dit aussi de manière sous-jacente : je ne m’exprime pas en tant qu’individu mais pour l’intérêt d’un groupe, je renonce à ma propre liberté et créativité. De plus, je m’adresse non pas à l’individu dans sa totalité mais à sa fonction de consommateur, je ne touche qu’à une partie de son intelligence par le biais de raccourcis, d’affirmations, de clichés, de répétitions, d’injonctions. Tout doit être identifié de façon simple. C’est une simplification de la pensée, donc du fond (qui n’est pas sans conséquence, car par la répétition cela crée un bruit de fond).

Prenons encore un autre exemple : Un artiste qui choisit de travailler avec le hasard. Tel autre qui ne veut pas communiquer de message, ou aller dans le sens de l’absurde. Le choix de la non-intention est une intention, la non-communication est une communication, le non-sens a un sens. On ne peut pas échapper au fond, et même dans le cas limite de l’abstraction, l’esprit continue à vouloir décrypter (comme l’enfant cherchant des silhouettes dans la forme des nuages). Il n’y a jamais de forme sans fond.

Ainsi, le dessinateur travaille sur deux plans et doit autant apprendre à manier le fond que la forme. C’est pour cela qu’il faut de la culture (connaissance des codes, du langage, des œuvres du présent et du passé) autant que des aptitudes graphiques, des qualités d’observation,etc.

Ceci étant dit, le style est surtout du côté du formel, même s’il est conditionné par le fond. Le style n'est pas une cause, c'est une conséquence. C’est un effet et un moyen pour un individu de s’exprimer, de donner forme à sa pensée. Ainsi le dessin, à travers le style et à partir du fond (histoire personnelle et culture de l’auteur), porte une vision du monde. Pour le dire autrement : dans un trait, un style on a aussi des souvenirs, un goût de telle chose et un dégoût de telle autre, de l’amour ou de la haine, de la gravité ou de la légèreté, bref, une vie et une forme de regard sur le monde. Tout cela est synthétisé dans un style donné qui donne un ton, un climat particulier (sombre, lumineux, triste, égayé…).

Quand on reconnaît quelqu’un a sa production on parle d’auteur (c’est sans doute pour ça que la publicité parfois fait travailler des artistes et des auteurs pour se donner un supplément d’âme).

Si le style se trouve d’abord dans le fond puis dans la forme, il ne faut pas pourtant opposer l’un et l’autre. L’un se nourrit de l’autre et inversement. Si le fond est privilégié à la forme on aura du mal à transmettre un message, une émotion (maladresses, hermétisme). Mais si le style se nourrit trop de forme, s’il n’est qu’une esthétique (ce qu’on retrouve dans la publicité et autres productions dans l’air du temps) il manquera de fond et de force. C’est pourquoi certains travaux vieillissent et d’autres résistent au temps.

Le style dans sa plénitude est un mélange harmonieux de culture, de regard et de savoir-faire technique. Et même si on fait le choix d’une apparente maladresse, celle-ci est en cohérence avec la vision qu’elle dessert. L’association des deux (fond et forme) devient une esthétique, une « manière », un style.

Donc, si le style est plus un effet qu’une cause, qu’il découle de la vision de son auteur, quels sont ses moyens ? C’est une façon de faire avec les codes visuels, les normes, la couleur ou l’absence de couleur, le réalisme ou le fantastique, la précision ou l’abstraction, l’utilisation de tels ou tels symboles, telles techniques, tels supports, le sérieux ou le comique. Tous les moyens sont bons. Tous les moyens sont là, et le style apparaît par l’association particulière qu’opère le dessinateur à partir de cette banque de donnée. La créativité est donc là, dans cette façon spécifique de manipuler, croiser, hybrider ce qui est dèjà là, accessible à tous. Des choses paraissent inintéressantes, quelconques, pauvres, jusqu’à ce que quelqu’un révèle la beauté et le sens qui s’y cachait.

Il est aussi possible de prendre pour style l’absence de style ou sa multiplicité (plusieurs techniques et esthétiques assumées par un même auteur). Mais dans ce cas on reste dans le domaine de l’esthétique, celle de la laideur ou de la mutation. Le tout étant d’être cohérent avec sa propre vision, sa démarche. De toutes façons on évolue y compris au sein d’un même style.

Le problème c’est quand le style se fige, qu’on s’en tient à une esthétique immuable (ce à quoi le marché et la publicité poussent souvent par souci d’identification, par commodité). Comme si on occupait un créneau puisqu’il se vend bien. Devenant le fonctionnaire de son art. On observe ça dans tous les arts, par exemple en musique avec des groupes qui ont une grande énergie créative à leur débuts puis s’épuisent dans la reproduction du même.

Le style n’est pas un but en soi, il doit être une quête continuelle, un questionnement permanent.


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