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De l'apprentissage du dessin 13

Publié le 20 juillet 2011 par Headless

Comment devenir original ?

C’est une question que tout aspirant se pose malgré lui. A l’instar d’une foule dans laquelle chaque individu cherche à exister en tant qu’élément unique, chacun cherche son soi. C’est vrai socialement (par le vêtement par exemple), c’est aussi vrai artistiquement, esthétiquement. Autant dire qu’on parle ici de créativité.

C’est tellement vrai qu’on observe souvent en atelier une tendance qui est celle-ci : Une personne expérimente une technique, un effet (bref une esthétique) tandis qu’une autre objectera qu’elle se refuse à reproduire le même principe, sous prétexte de vouloir trouver «sa» façon, de ne pas copier ou singer ce qui a été expérimenté par un tiers. J’ai entendu aussi : « Ah mais ça c’est du déjà-vu, du déjà-fait. »

A ce moment-là il vaut mieux tout arrêter car tout a été plus ou moins déjà fait. On voit bien comment l’idée de trop ressembler à, de ne pas être différent peut répugner certaines personnes. 

On cherche à être original (au sens de singulier, nouveau). Comme si ce qu'on est devait être déterminé par les autres, et non pas par rapport à soi.

Ce à quoi je répond toujours qu’on peut être un groupe entier à expérimenter la même technique, il en sortira autant de variations, de possibles traductions que de personnes. La main, le poignet, le corps, l’énergie, la tête, tout autant de paramètres qui font varier les résultats. Il ne faut pas avoir peur de se frotter au déjà-vu, y compris pour devenir original, pour avoir la possibilité de le dépasser.

C’est qu’au début on est tenté de chercher de l’originalité de façon formelle, extérieure, en tentant de « s’inventer » une écriture. Je pense fortement qu’on n’invente rien, par contre on agence et on manipule de façon différente des choses qui sont déjà là, à la portée de tous. Dessiner, créer, ça ne se fait pas ex nihilo, à partir de rien. C’est partir de ce qui est sous notre nez, que tout le monde connaît mais en l’envisageant sous un angle différent. Deux exemples : Shigeru Ban, architecte Japonais qui renouvelle complètement son domaine en détournant un matériau qui à-priori est étranger à la construction : le carton. Giacometti, à qui André Breton reproche son intérêt pour le dessin d’observation estimant le suréalisme supérieur au travail sur la réalité (« Une tête, tout le monde sait ce que c’est qu’une tête »), qui lui répond que non, justement, on ne sait pas ce que c’est qu’une tête.

Mais cette recherche d’originalité à tout crin a aussi son utilité, ce n’est qu’un premier pas qui mène à d’autres.

On parvient donc par étapes, à se trouver sous un aspect singulier, d’abord par des moyens plus ou moins extérieurs (certains pensent par exemple que cela passe par des vêtements particuliers, c’est souvent le cas chez les étudiants en arts, ou encore avoir tel ou tel matériel) puis par des moyens plus subtils et intérieurs (en se forgeant une culture, un regard, une « famille » artistique avec des modèles à suivre). Là encore, il s’agit de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Les gens les plus originaux peuvent aussi parfois passer inaperçu dans une foule. Il ne faut pas se fier qu’aux apparences. Et certains ont besoin d’excentricité y compris dans leur façon d’être. Il n’y a pas de règle. Il n’y a qu’une volonté initiale de liberté.

Cette volonté d’originalité est si forte (de même que les adolescents traversent leur recherche d’identité comme une période de crise) qu’elle pousse certains au raisonnement suivant : Je serais génial ou rien. Et il arrive que ce soit rien. Cette approche extrêmiste (non exempte d’orgueil) pousse ceux-là même parfois à arrêter. C’est que le dessin, comme tout autre art, demande de l’humilité et de la constance, de la patience et parfois de l’abnégation. L'envie ne suffit pas, il faut se donner les moyens et ne pas s'arrêter en route.

Revenons à la question : comment devient-on original? Comment certains paraissent l’être plus que d’autres ? Faut-il seulement vouloir l’être ?

On ne devient que ce qu’on est, ce qu’on porte. On ne peut pas tricher avec soi-même. Si on singe l’originalité on n’en devient pas pour autant original. Si ce n’est pas motivé de l’intérieur, on ne perçoit à l’extérieur qu’une caricature, une posture.

C’est donc comme de polir longuement une pierre brute, jusqu’à ce qu’elle révèle son éclat.

Certains y parviennent à la fin d’un long parcours, d’une carrière, comme un couronnement (Chez Pratt par exemple avec des débuts très classiques, ou les débuts un peu empruntés ou sous influence, ce que Cézanne appelait sa période « couillarde ». On voit ça chez Tapiès, Pollock et tant d’autres à leurs débuts). D’autres la portent assez tôt comme Basquiat, Schiele ou Rimbaud.

Si on y regarde de plus près, qu’est-ce qui est en jeu dans l’originalité ? C’est la question de l’identité et de l’altérité (le jeu de soi, du même et de l’autre). Qui sommes-nous, qui voulons nous être? Quel dessein avons-nous ? Car dessein et dessein sont interdépendants. Au cinéma, en photographie, littérature c’est idem : qui parle ? à qui ? pourquoi ? sur quel ton ? C’est bien beau de dessiner mais pour en faire quoi ? Pour qui ? Qui est-on ? Ce sont des questions à se poser avant d’aller plus loin.

Identité et altérité (être autre, ne pas être le même). Au premier abord, l’originalité semble découler de l’altérité. Mais on est différent ou original que ‘par rapport à’. On perçoit cela en fonction de normes, de conventions, d’habitudes, de façons de faire et de penser. L’originalité est à chercher au cœur de soi-même. A priori on est tous originaux, mais l’éducation, la société, formatent et recouvrent nos identités. Autrement dit, plus on sait qui on est, plus on oublie ce qu’on attend de nous, plus on a de chance d’être original.

Le subjectif débouche sur de l’universel. Il n’y a pas de réalité sans qui regarde cette réalité. C'est ce qui qui nous intéresse. Il n’y a pas plus subversif et créatif qu’être soi-même. Ce qui demande pas mal de travail. Et si on ne va pas le chercher, cela ne nous est pas donné. Ce qui explique peut-être les différences dans l’originalité : le degré d’exigence de chacun (attention, ne pas confondre ambition et exigence).

Et tout le monde ne cherche pas forcément à être original mais à savoir faire et à "fonctionner" dans un système donné (professionnel par exemple). Et il n’y a pas là de jugement de valeur, c’est une question de choix. Il y a aussi des compromis, l’envie de séduire, la volonté de normalité (ou la peur de l’altérité), l'originalité pour l'originalité...

Devenir soi. Le paradoxe est que pour cela il faut en passer par les autres. Par la copie, le mimétisme, le travail sous influence. C’est indispensable, on ne se fait pas tout seul. Avant d’être original, il faut se frotter aux aînés. Ensuite on accède peu à peu à soi-même.

On pourrait prendre l’image de quelqu’un cherchant un trésor ou de l’eau : plus il creusera profond, plus il aura la possibilité d’atteindre son but. Celui qui ne creuse qu’en surface ou qui se contente de trouver un peu de terre humide, ou un fragment du trésor peut s’arrêter là, s’en tenir à ça. La surface ce sont les poncifs, les clichés, stéréotypes, la pensée commune (donc celle de personne).

Il ne faut pas se satisfaire trop vite et chercher sans cesse, jusqu’au bout si nécessaire. C’est de la patience, cette qualité qu’on n’a pas toujours dans sa jeunesse mais qui fait qu’on vieillit mieux. « Je vous dois la vérité en peinture » disait le vieux Cézanne. Il faut dire sa vérité, tout simplement.

L’autre aspect qui conditionne une possible originalité c’est la liberté. Liberté de ne pas faire de séparation entre les choses (entre le beau, le laid, l’intéressant, l’inintéressant… On peut faire feu de tout bois), la liberté vis-à-vis des conventions, la liberté d’expérimenter. L’esprit de recherche. L'ouverture d'esprit. Il faut se rappeler l’enfant qu’on a été, sans à-priori, sans peur, sans gêne, non conditionné. La surprise peut venir d’une question posée de façon inattendue comme savent si bien le faire les gamins. Reconsidérer ce qu’on croit savoir, se frotter à ce qu’on ignore, ne pas cesser d’être en apprentissage. Se surprendre soi-même. Ne rien s’interdire.

Il n’y a pas de recettes (du moins applicables de manière générale) pour être original. Et c’est tant mieux. Il faut prendre exemple sur les meilleurs artistes qui sont autant d’athlètes de l’introspection, de la rigueur et de la recherche de leur vérité. Avoir une solide connaissance de l’art, de la vie, ou plus simplement de la curiosité pour avoir quelque chose à dire. Avant de vouloir être original il faut déjà se demander qui l’on est, puis l’être. Quand l'effort pour être original disparaît, l'originalité apparaît. 

Je crois aussi que beaucoup ont la flamme à un moment et puis s'éteigne par trop de dispersion, de compromis, de facilités. Notre société est assez castratrice et ne facilite pas les choses. Notre originalité ou notre liberté, ce n'est pas sa priorité. Il faut imposer son regard face à ce qui n'en a pas. 


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