On connait mon amour inconditionnel pour les voitures. Je blague, évidemment. Je déteste les voitures et elles me le rendent bien. J'affectionne particulièrement les vieilles bagnoles qui tombent en ruine et qui vident mon porte-feuille. En fait, telle une jeune cégépienne qui n'attire que des gars immatures qui la laissent tomber dès qu'elle parle de s'engager, j'attire les voitures usées à la corde qui m'abandonnent dans le stationnement de l'épicerie dès que j'ose parler des années de concubinage routier qui nous attendent. C'est terrible, mais c'est ainsi. Je suis trop tolérante avec les voitures, c'est ça mon problème. J'accepte sans ronchonner les milliers de petits bruits insolites qui caractérisent nos balades et je monte le son de la radio quand ça devient plus paniquant. J'ai déjà eu droit à un «je peux pas croire que tu roules avec ce vieux truc de ferraille de merde avec ma nièce assise à l'arrière» bien senti de la part de ma soeur qui avait utilisé ma voiture pour faire une course (dans le sens d'achat, pas dans le sens de piste de course).
Toujours est-il (c'est ma grand-mère paternelle qui m'a appris cette charmante expression) qu'au début de l'été, j'ai changé de voiture. Ma vieille Néon était vraiment vieille. Pendant quelques semaines, j'ai caressé le faible espoir que sa re-vente me permettrait de renouveler ma garde-robe, mais j'ai vite abandonné l'idée. Elle gît maintenant dans un cimetière à voiture, après avoir gentiment fait don de ses organes pour sauver la vie d'une autre voiture (on a le coeur sur la main dans ma famille, même quand on est un tas de ferraille huileux). Ce qui fait que là, j'ai une nouvelle voiture. Pas neuve, nouvelle. Un peu usée elle aussi, mais fort bien entretenue. Le plaisir que j'ai eu en m'y assoyant! Enfin, une radio. «T'as vu Bébé fille, maman peut mettre de la musique!» Et tiens que je te mette de la musique à tue-tête, au grand bonheur d'une Bébé fille surexcitée. Le soir, mes phares font réellement leur travail. «T'as vu l'amoureux, je peux voir les obstacles à des dizaines de pieds devant». Et tiens que je te mette ça sur les hautes et que j'admire le paysage nocturne! Le vrai bonheur quoi!
Ah, mais le plaisir fût de courte durée. Voyez-vous, un matin, comme ça, sans crier phare (hu hu), ma nouvelle-voiture-bleue-sportive-manuelle-avec-radio-et-sièges-en-tissu-de-grand-père (genre, laine grise) s'est mise à faire un drôle de son. Ça frottait dans la roue. Très subtil comme son, mais mes oreilles de super-maman-habituée-à-décoder-les-silences-catastrophiques-d'une-Bébé-fille-en-plein-mauvais-coup ont su repérer le bruit insolite. Bien décidée à entretenir une bonne relation avec ma voiture, je ne l'ai pas laissée poireauter comme j'avais l'habitude de le faire avec ses prédécesseures. Non. J'ai tout de suite appelé mon garagiste qui avait de la place cinq jours plus tard, pas avant. Soit, ça devrait tenir le coup cinq jours. Après tout, le bruit était à peine perceptible.
Le lendemain, le bruit n'était plus à peine perceptible, mais plutôt bien présent. Fidèle à mon habitude, j'ai monté le volume de la radio. Que pouvais-je faire d'autre? Mon rendez-vous était pris, me restait qu'à prier pour que la voiture tienne jusque là.
Le surlendemain, le bruit était épouvantable. Tout en allant porter Bébé fille à la garderie, je voyais des images de la voiture perdant une roue et moi pleurant ma vie sur le bord de la route (les hormones de grossesse). Une fois Bébé fille en sécurité à la garderie, je me suis dirigée, très lentement et très sûrement vers le bureau. Le boulot aidant, je n'ai plus trop pensé à ma voiture qui attendait patiemment dans le stationnement l'heure du retour à la maison, alors qu'elle pourrait se plaindre bruyamment de mes mauvais traitements.
Le retour à la maison a été pénible. Vraiment pénible. Le bruit, c'était l'enfer. Le pire: les avertissements de monsieur et madame tout-le-monde-je-ne-me-mêle-pas-de-mes-affaires. À la pharmacie, à peine débarquée de ma voiture, une madame avec un t-shirt de loup (sans blague) me dit: «Ihhh. C'est pas beau tu-suite comme bruit, ça. À ta place, j'aurais peur de perdre une roue.» Ça va, merci, je t'ai pas sonné. Et J'AI peur de perdre une roue, merci de ne pas me le rappeler. Devant le dépanneur, un monsieur bedonnant: «Oh ma tite-dame, votre auto va pas bien. Vous devriez pas rouler avec.» «Je sais, je vais au garage dans 3 jours.» «Ben là, attendez pas 3 jours.» Est-ce que t'es capable de me le réparer, là, maintenant, avant d'aller chercher ton six-pack? NON? Alors, merci de te la fermer et de me laisser acheter ma pinte de lait en paix (je l'ai pas dit tout haut, mais je l'ai pensé si fort que je suis sûre qu'on a fait de la télépathie parce qu'il n'a rien ajouté, le monsieur. À moins que ce soit mon regard sévère et la petite bave de colère sur le coin de ma bouche qui lui aie fait peur...)
Le dernier, mais non le moindre, ça été à un stop. Bonne conductrice que je suis, je fais mon arrêt 3 secondes comme la loi l'exige et puisque le bruit infernal se fait entendre quand j'appuie sur les freins, le camionneur dans la rue perpendiculaire à la mienne et qui fait son stop lui aussi, se sort la tête par la fenêtre et ouvre la bouche pour m'adresser un avertissement de camionneur, mais je lui cloue le bec avec un «je vais au garage demain» et un regard méchant-méchant de femme enceinte qui meurt de faim, qui est fatiguée de sa journée au travail et qui en plus doit se taper un retour à la maison avec une Bébé fille aussi fatiguée et affamée qu'elle.
J'ai appelé mon garagiste. Je lui ai dit qu'il fallait devancer mon rendez-vous ou sinon, c'est sûr qu'il y aurait un meurtre de monsieur/madame-je-me-mêle-pas-de-mes-oignons. Il a ri et m'a dit de lui apporter la voiture le lendemain matin (mon garagiste, il est gentil et il connaît mon aversion pour les voitures).
Le lendemain matin, je lui apporte la voiture dans un pataclan d'enfer. Il rit. Il me lance les clés de sa voiture de courtoisie en me disant de ne pas faire attention au ménage. C'est plein de bébelles d'enfants et Bébé fille est super heureuse d'avoir des nouveaux jouets de voiture. Je démarre donc la voiture de courtoisie. Bing bling bing bling sont les sons qui accompagnent le vrombissement du moteur qui n'a rien de régulier. Et mon garagiste de répliquer: «Eh ben, faut croire que même la voiture de courtoisie ne t'aime pas beaucoup.»
Sans blague. Je roule donc en direction de la garderie et ouvre la radio pour couvrir le son désagréable. C'est le CD de mon garagiste qui décolle. Du country. Du vrai de vrai. Il est gentil mon garagiste, mais il a pas de goût en matière de musique. Bébé fille tape des mains gaiement à l'arrière. J'éteins la radio. Je préfère de loin le son d'un moteur malade à celui des ballades de faux cowboy. Bébé fille s'emporte «encowe musique, encowe musique»!
Tout, mais pas ça. Pitié. Ne m'oblige pas à écouter du country, en plus.
Ma fille est sans pitié. J'ai donc remis le country.