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Voyages dans le temps

Publié le 18 septembre 2011 par Gborjay

Ou de l'art de ménager le suspense par les vertus de la chronologie. Tel est le thème crucial, dans l'écriture de tout roman, dont Gustave Borjay condescend aujourd'hui à dévoiler les grandes lignes. Vous avez toujours lu avec le plus grand effarement des œuvres jonglant avec le temps comme un étrangleur avec son fil à beurre ? Vous ne connaissez pas le making-of, mais vous brûleriez d'en savoir plus ? Vous tombez bien, puisqu'ici seront livrées les ficelles les plus courantes, mais aussi celles plus rares, plus puissantes, plus excitantes que vous n'auriez jamais soupçonnées.

Tout d'abord, le premier choix à effectuer, c'est le rôle à donner au Temps. Existe-t-il dans votre œuvre ? Y a-t-il sa place ? Allez-vous suivre la chronologie rigoureuse d'un roman épistolaire comme Les Liaisons dangereuses ? Allez-vous au contraire bannir toute temporalité de votre récit, à la manière déstructurée d'un procès kafkaïen ? Le non-emploi des repères chronologiques peut être la clé pour entrer à jamais dans le monde des rêves, plus ou moins réel selon vos vœux, mais toujours diffus, désincarné, délicieusement flottant comme un malaise ou une pensée perdue. On trouvera plus couramment cette technique, fascinante mais très rebutante, dans le registre de la nouvelle.

Mais maintenant, si vous choisissiez un rapport au temps plus classique ? Vous avez une histoire intéressante, un nouveau concept pensez-vous, qui caractérise bien votre invention d'esprit : Arnold fait fortune, Arnold est méritant, puis Arnold est attaqué, trahi et spolié, Arnold se sent ensuite rejeté par ses proches que le malheur en général indispose, Arnold se venge, Arnold refait fortune, mais rien n'est plus jamais pareil, et Arnold tente à la fin, sans succès, de se suicider.

 Premier axe, la chronologie rigoureuse. Vous privilégiez le réalisme cru. La réalité, effrayante, s’étale sans fard aux yeux effarés du lecteur. C’est dur, c’est vrai, c’est implacable. Le narrateur peut devenir complètement absent, car il n’y a plus d’intention de mise en scène. Vous vous ménagez ainsi la voix au réalisme le plus âpre. Arnold, c’est vous, c’est eux, c’est chacun de nous. Arnold, c’est l’Homme. Il grandit, il perd, il pleure, il se bat, il meurt. Simple et bouleversant.

 Vous pouvez utiliser ensuite l’ellipse temporelle, indispensable pour ne pas passer plusieurs chapitres à ne rien raconter quand il ne se passe rien, après la trahison, pendant les cinq ans que met le pauvre Arnold à se reconstruire spirituellement à coup de réunions d’alcooliques anonymes. C’est l’enfance de l’art. Mais vous pouvez ensuite jouer sur les temps. Vous pouvez raconter l’histoire de ce débris – Arnold – qui se meut péniblement à la surface de la terre. Le lecteur s’intéresse, pris de pitié, il veut en savoir plus, vous le faite patienter, il n’en peut plus, et là, paf ! Vous lui servez un impeccable flashback sur son ascension et sa chute. Quel plaisir de gourmet ! Vous pouvez même commencer par son suicide qui se solde en échec, avant de raconter comment Arnold en est venu là.

 Enfin, la chronologie peut devenir un moyen de ménager le suspense et tromper le lecteur. Vous pouvez revenir en arrière, après la trahison, pour raconter ce que vous n’aviez pas dit sur le rôle trouble de son père qu’il n’avait jamais connu mais qui avait toujours travaillé de façon souterraine à lui pourrir la vie, pour venger sa femme morte à l’accouchement suite à la tragique naissance prématurée de bébé Arnold. Quelle horrible surprise ! Mieux encore, deux moments se ressemblent dans votre récit ? Amusez-vous à les confondre, à les mélanger astucieusement, pour ne les dissocier qu’à la fin. Quelle réussite quand on s’aperçoit qu’il n’y avait non pas une, mais deux tentatives de suicide pour la personne du malheureux Arnold ! Cela explique toutes ces incohérences mystérieuses et charmantes qui parsemaient la narration. Cela montre à quel point Arnold est un grand sacrifié de la vie.

Bien sûr, tous ces procédés nécessitent un grand talent, que vous n’avez probablement pas, pour être dignement utilisés, un talent remarquable que vous serez cependant rassuré de retrouver chez

Gustave Borjay, qui vous salue.

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Arnold avait toujours vécu dans l'ombre de sa cousine
Martine. Elle avait réussi. En serait-il jamais capable ?



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