La question du sens
Comme j'ai essayé de l'expliquer à travers la notion du fond et de la forme, un dessin est autant fait de ce qu'on y voit que de ce qu'on n'y voit pas. On essaiera donc de prendre conscience qu'un dessin n'est pas qu'une image, une enveloppe (si belle soit-elle). Il cache aussi un noyau invisible, en tous les cas subtil (et qui quelque part agit de façon subliminale dans la perception globale de l'ensemble). En effet, on ne perçoit jamais qu'une simple image mais aussi toutes celles qui l'accompagnent, toutes les sensations qu'elle provoque sur notre esprit (par connotation, culture, système de codes et de signes, sémantique). Que ces échos soient voulus ou pas par son auteur, tout dessin est « ouvert » (au sens où Umberto Eco parle d'oeuvre ouverte). Ouvert sur des interprétations multiples qui sont le fait à la fois du dessinateur et du spectateur ("C'est le spectateur qui fait le tableau" disait Marcel Duchamp).
Donc l’orientation (sens) peut-être le produit des deux, parfois avec domination de l’un ou de l’autre, parfois avec équilibre. Mais dire que le spectateur a sa part de création dans sa lecture ne veut pas dire que l’auteur doit faire n’importe quoi. Il ne doit pas ignorer la façon dont on va recevoir ses images, même s'il ne peut pas tout prévoir.
Le premier spectateur d’un dessin c’est le dessinateur lui-même, puisqu'il assiste à son apparition sur le papier. C’est donc aussi le premier décrypteur, lecteur. Et il ne peut pas faire autrement que chercher un sens à ce qu’il fait ou à ce qu’il essaie de dire. Avec des moyens différents de la littérature, un dessinateur exprime aussi un message, même si celui-ci n’est pas articulé avec des mots, il veut dire ou faire sens (quand bien même il cultive une volonté de ne pas dire, de ne pas illustrer une pensée, ce souhait même est une pensée et une volonté qui a des répercussions sur la forme).
Chez certains, il y a même un plan esthétique global, avec un programme et des thématiques bien précises(ce qu’on peut observer souvent dans la pratique de l’art contemporain ou chez certains écrivains), chez d’autres l’approche est plus intuitive ou empirique. Quoi qu’il en soit, il y a une recherche de cohérence et d’unité dans le travail de tout dessinateur, donc de sens. Il faut apprendre à faire sens, connaître le sens des formes, se jouer du sens, du sous-entendu. On ne part pas de rien. Et tout peut faire sens, rien n’est à mépriser. Comme l’a dit Baudelaire de l’artiste-alchimiste : « il pétrit de la boue et en fit de l’or ».
Quels sont donc les paramètres de choix et de sens à la portée du dessinateur?
- Sens du choix du support :
C’est la base est c’est un facteur important dans la réception finale d’un dessin. Est-ce que j’utilise un post-it, du papier machine A4, un bout de papier froissé ou du carton trouvé dans une poubelle, un fragment de document (qui par sa nature même communique déjà du sens, connote quelque chose)?
Cela englobe des questions de qualité et de quantité : support brut ou sophistiqué, précieux ou dit « pauvre », classiques ou pas (dessiner sur du papier ou sur un mur, sur un corps). Support de tailles petites, moyennes ou grandes. Dessiner sur un timbre poste n’a pas le même sens ni le même impact que de dessiner sur un support immense (de même que de chuchoter quelque chose à l’oreille de quelqu’un ou d’utiliser un mégaphone). Il faut donc peu à peu trouver le support le plus adapté en fonction d’une intention pour éviter les contradictions ou parasitages . Et de façon plus pragmatique, choisir un support qui supporte la technique utilisée (papier assez épais pour utiliser de l’aquarelle par exemple, à moins qu’il n’y ait un parti-pris de fragilité ou de négligence).
- Sens du choix des outils :
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Au début, l’apprenti dessinateur n’est pas toujours très conscient du choix du support et des outils adéquats par manque d’habitude. On voit ainsi des dessins fait au bic bleu sur du papier quadrillé qui connote un côté scolaire (qui dans un autre contexte, en choix assumé pourrait avoir son intérêt). Ou encore l’utilisation d’encre à paillettes (côté décoratif et kitsch, ou bien naïf).
Il faut commencer par se familiariser avec toutes les techniques, tous les outils dits « classiques » pour ne pas les ignorer ou ne faire que par défaut. J’ai vu certaines personnes se cantonner à un ou deux outils (feutres, critériums) ce qui restreind énormément leur champ d’action et d’expression. Une fois qu’on a touché un peu à tout on peut s’amuser, détourner, utiliser les choses à contre-emploi, trouver d’autres possibilités. Mais de façon consciente.
Bref, l’étudiant doit prendre conscience peu à peu que le choix de l’outil a du sens.
J’utilise des outils agressifs, précis, qui grattent, blessent le papier pour dire telle chose. Et pour telle autre, plutôt la douceur d’un pinceau, le flou d’une technique à l’eau, etc. Pour exprimer un contraste ou une contradiction, je peux mélanger deux techniques et deux outils différents. Bref, il y a beaucoup de possibles et le plaisir du dessiner commence avec ces questions.
(article en cours d'écriture, à suivre...)