Le premier trimestre, c'est ici. Le deuxième, c'est là.
Bébé 1
Future maman a enfin une bedaine. Oh qu'elle se flatte le monticule avec joie et allégresse! Son ordinateur déborde de photographies d'elle et son ventre, dont elle note minutieusement chaque nouveau millimètre. Future maman adore sentir Bébé 1 bouger. Elle lui parle doucement, lui raconte ce qu'elle fait dans les moindres détails, ce qui déstabilise un peu Futur papa, surtout quand elle narre leurs coquineries sous la couette pour «rassurer le bébé», comme elle dit.
Future maman suit chaque recommandation de son médecin sans rien remettre en question. Elle mange un peu moins de cela, dort sur ce côté-ci, boit un peu plus de ceci, note les mouvements de Bébé 1 dans un carnet et discute de tous changements minimes avec son médecin. Elle rougit un peu quand son médecin lui apprend qu'elle a une petite quantité de sucre dans son urine, camoufle sa honte quand il lui apprend qu'elle prend un peu trop de poids et serre les dents de gêne quand il lui mentionne que sa hauteur utérine n'est pas tout à fait dans la moyenne normale.
Sa valise pour l'hôpital est prête depuis la 32e semaine. Celle du bébé aussi. Elle a suivi à la lettre la liste remise lors de ses cours pré-nataux. Son plan d'accouchement doit faire à peu près trois pages de long. Évidemment, ce sera un accouchement tout à fait naturel. Elle maîtrise parfaitement les techniques de respiration et de relaxation apprises. Évidemment, elle allaitera. Un an au moins, deux s'il le faut. Accoucher naturellement et allaiter, tout le monde le dit, c'est TOUT À FAIT naturel. Ça se fait tout seul, à ce qu'on dit dans les livres et au CLSC. Donc, les histoires d'horreur qu'elle entend de vraies mères, ça ne peut être qu'une façon pour elles de se rendre intéressantes. Pffff.
Future maman déborde d'énergie. Elle prépare son nid avec fougue et excitation. Tiens, que je t'achètes 22 pyjamas. Et hop, que je te peins toute une chambre en une demie-journée. Frotte, frotte, frotte le réfrigérateur. Balaie, balaie, balaie tout le plancher. Nettoie les fenêtres, le sous-sol, le toit de la maison. Future maman ne se repose pas. Pas nécessaire, elle aura tout le temps de le faire quand Bébé 1 sera là. Après tout, c'est écrit dans les livres que les nouveaux-nés dorment 20 heures par jour, alors. Si seulement elle savait....Mais, elle ne sait pas. C'est son premier, alors laissons-lui le plaisir de découvrir la fatigue et l'épuisement.
Chaque fois que Future maman a un petit gaz, elle se demande si ce n'est pas une contraction. Ou quand elle soulève un sac d'épicerie et que ça titille au bas du ventre. Ou quand elle exerce son périnée. «Tu le sauras quand ce sera une vraie contraction», qu'on lui dit. Mais elle ne sait pas. C'est son premier, alors laissons-lui le plaisir de découvrir ce qu'est une contraction.
Future maman travaille jusqu'à la 37e semaine. Elle se repose les week-end, en faisant la grasse matinée jusqu'à l'heure du dîner, n'en déplaise à personne. Il lui arrive même de faire une petite sieste pendant sa pause-dîner, au boulot, histoire de reprendre un peu d'énergie pour terminer la journée. Quand elle rentre à la maison, elle collationne et prépare le souper tranquillement tout en chantonnant pour Bébé 1 qui fait des pirouettes dans son ventre. Elle profite ensuite de sa soirée pour coller Futur papa et faire des plans sur l'avenir de Bébé 1.
Future maman est rayonnante. Bien qu'un peu maladroite dans son corps, ses nouvelles courbes la fascinent. Il y a bien quelques petits désagréments ici et là, comme cette fâcheuse manie qu'a sa vessie de se remplir avec trois gouttes ou son estomac qui ne digère pas la moitié de ce qu'elle mange, mais elle se dit que c'est le prix à payer pour porter la vie. Future maman et Futur papa sont heureux.
Bébé 2
Maman se trouve énorme. Elle est convaincue que son ventre est bien plus gros pour Bébé 2, si elle compare à la même période au moment de Bébé 1. Tout lui est pénible: se pencher, se relever, habiller Bébé 1 qui se débat comme un poisson qu'on aurait pêcher à mains nues, s'habiller elle-même avec ses vêtements de maternité qui faisaient parfaitement pour Bébé 1, mais qui sont un peu plus étroits pour Bébé 2. L'avantage, c'est qu'il lui semble qu'elle a aussi de plus gros seins que pour Bébé 1. Faut voir le positif.
Maman écoute à moitié son médecin. Elle a appris à se faire confiance et à écouter son corps. Elle mange autant de cela, dort dans toutes les positions qui lui plaisent, boit ce qu'elle a envie de boire et connait par coeur la routine de mouvements de Bébé 2, sans même y porter attention. Elle chasse habilement toute forme de culpabilité, même si on lui dit qu'elle a pris trop de poids. Elle sait fort bien qu'elle culpabilisera pour dix quand Bébé 2 sera là.
Sa valise pour l'hôpital est vide. Elle la remplira avec ce qui traîne quand elle sentira les premières contractions. Quand même, elle prépare un peu d'avance celle de Bébé 2, genre à la 39e semaine et demie, pour être certaine qu'il ne manque de rien. Elle est négligente avec elle-même, pas avec sa progéniture. Cette fois, elle se fie à son instinct plutôt qu'à une liste. Pour Bébé 1, elle n'a pas utilisé la moitié de ce qu'elle avait apporté et tout s'est retrouvé éparpillé n'importe comment dans la chambre d'hôpital.
Maman n'a pas de plan d'accouchement. Ça se déroulera comme ça se déroulera, de toute façon, elle n'y peut rien. Au diable les techniques de respiration et de relaxation, ça ne fonctionne pas du tout, anyway. Pas de pression non plus pour l'allaitement. Ça s'est bien passé pour Bébé 1 à ce niveau, mais rien n'indique que ce sera identique pour Bébé 2. On verra dans le temps comme dans le temps. Elle n'est pas naïve; elle sait maintenant que toutes les histoires d'horreur qu'elle a entendu avant la venue de Bébé 1 sont vraies et que rien n'est jamais tout rose, tout beau en matière d'accouchement et d'allaitement, même si c'est ce que les «spécialistes» (des contes de fée, oui) tentent de nous faire croire.
Maman est fatiguée. Bébé 1 lui gobe une bonne partie de son énergie. Elle prépare tranquillement la venue de Bébé 2, mais sans s'éreinter non plus. Maman a retenu la leçon du premier: on se repose AVANT que le bébé ne soit là. Après, ce n'est plus possible. Surtout si on prend en considération que ce sera DEUX moussaillons dont il faudra prendre soin. La seule discipline que Maman s'impose, c'est de préparer des tonnes de plats congelés. Elle n'est pas dupe, Maman, elle se souvient parfaitement le nombre de repas collés, calcinés ou mangés froids après la venue de Bébé 1. Pour Bébé 2, son congélateur déborde de repas équilibrés qui ne demande qu'à être réchauffés. Maman est fière d'elle.
Maman sait TRÈS bien ce qu'est une contraction. Elle ne l'oubliera sans doute jamais. Ça fait mal, on ne peut pas se tromper. Elle les guette donc, ces ennemies jurées qui sont à la fois ses meilleures amies puisqu'annonciatrices de la délivrance ultime et de la rencontre tant attendue. Dès les premières, elle appellera du renfort pour prendre soin de Bébé 1 pendant qu'elle hurlera sa vie sur un lit d'hôpital.
Maman travaille jusqu'à la 37e semaine, mais ne peut pas se reposer les week-end parce que Bébé 1 n'en a rien à foutre que sa mère se prépare au moment le plus douloureux de toute sa vie. Maman ne fait pas non plus de sieste au bureau, parce qu'elle ne prend pas de pause-dîner afin de terminer plus tôt pour profiter de chaque petit moment avec Bébé 1. Quand elle rentre à la maison, elle doit préparer le souper en quatrième vitesse pour Bébé 1 qui meurt de faim malgré une collation, tout en témoignant de l'attention pour ce Bébé 1 qui n'a pas vu sa mère de la journée et réclame sa présence pour changer la couche de sa poupée. Maman gobe son souper encore plus rapidement qu'elle ne l'a préparé, fait la vaisselle en sprint, puis s'asseoit cinq minutes avant de donner le bain à Bébé 1. Après les jeux et la routine du dodo, Maman s'écrase, non, s'échoue lourdement sur le divan et ronfle sur les cuisses de Papa jusqu'à ce que celui-ci lui murmure doucement d'aller se coucher dans le lit pour être plus confortable.
Malgré tout cela, Maman est rayonnante, tout le monde le lui dit. Elle sait que c'est en grande partie grâce aux hormones de grossesse qui la rendent lumineuse ainsi qu'à ses fidèles amis cache-cerne et mascara. Elle sait aussi que c'est grâce au bonheur qui l'habite, à cette excitation qu'elle connait bien de donner la vie à nouveau. Elle peste contre sa vessie, son estomac, ses jambes, son corps en entier, mais elle sourit en pensant au petit humain en devenir dans son gros ventre. Maman et papa sont heureux: cette fois, ils savent à quel point ils aimeront cette petite boule d'amour.
Ça vaut toutes les misères du monde.