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De l'apprentissage du dessin 16

Publié le 28 octobre 2011 par Headless

Quest-ce qu’un dessin ?

 

« Le dessin est la base de tout. » Alberto Giacometti

 

Qu’est-ce qu’un dessin ? Les questions les plus bêtes sont les meilleures. Comme celle des enfants, souvent désarmantes, qui revisitent nos évidences, questionnent nos croyances. Posons donc la question : qu’est-ce qu’un dessin? Qu’est le dessin ? Et qu’est-ce que dessiner ?

Parce que ce n’est pas forcément évident de trouver une bonne réponse. Même si la formule « je ne vais pas vous faire un dessin » ou « un dessin vaut mieux qu’un long discours » semble renvoyer à une lisibilité, une évidence de cette forme de communication, ce qui passe à travers elle est complexe.

Il y a d'abord cette proximité trahie par le langage entre dessin et dessein. Dessin provient du mot dessein. Avoir un dessein, une idée derrière la tête. De la pensée à formuler, des sensations à exprimer. Projeter, le dessin étant à la fois le projet et sa projection sur une surface. La séparation de ces deux termes semble privilégier une définition liée au résultat plus qu’à son origine. Pour bien comprendre le dessin il faut réunir ces deux aspects : mental et matériel, cause et conséquence. Le dessin est un iceberg qui comporte sa dimension cachée.

Dessiner c’est laisser une trace, déposer une information, aligner des signes, formuler une phrase muette. Mais qui dessine ? Pourquoi ? D’où partent ces flèches et vers quelle cible ? Le dessinateur est dans son dessin comme le projet est dans sa réalisation. Le dessin est l’indice de ce qui l’a provoqué, de qui l’a provoqué. Le dessin est un indice. Tout dessin est un sous-entendu.

Historiquement, le dessin à l’époque classique est là pour ébaucher, pour préparer une peinture ou une sculpture à venir. Le dessin est subordonné à quelque chose d’autre et ne jouit pas vraiment du statut de l’œuvre que l’on donne à une toile ou un marbre. Esquisses, brouillons, shémas, souvent laissés dans l’ombre des œuvres qui en seraient l’incarnation parachevée, améliorée, colorisée (le trait disparaissant sous les couches de peinture, comme un squelette, trop nu pour être exhibé pour lui-même).

Dans cette optique le dessin est plus un moyen qu’une fin. Il ne peut donc pas prétendre à être œuvre. Il ne peut être pris pour lui-même.

La modernité à fait évoluer notre regard sur le dessin. Il est devenu peu à peu objet d’intérêt, pour lui-même. Il n’y a qu’à voir le succès du dessin contemporain, les nombreuses expositions qui lui sont dédié, même s’il reste quelque part une sorte de complexe d’infériorité culturel face à d’autres formes plus sophistiquées ou plus spectaculaires (peinture, photo, cinéma). Le dessin ne devrait pas rougir de la simplicité de ses moyens. C’est justement là sa force. Je pense que le dessin est l’origine et le terme. C’est la manifestation la plus pure et la plus fondamentale de l’art. Aussi basique que le fait d’écrire, qui en lui-même contient le monde, Le dessin possède l’univers. Avec un simple crayon, un bout de charbon, une plume on peut convoquer toutes les formes sur une page. Le dessin est tout.

A partir de quand il y a dessin ? Brassaï est l’auteur d’une série de belles photographies en noir et blanc sur les graffitis grattés sur les murs de Paris : têtes de morts, crevasses, trous, griffures. Des témoignages d’anonymes aux échos primitifs, intemporels, gratuits, débarassés de l’idée d’art ou de beau, bruts. Je pense aussi à ses fameux doodles, graphismes fait à vide, au téléphone, dans un état second, d’absence de contrôle. Au-delà de la question du savoir-faire et de la ressemblance, tout est potentiellement graphique (c’est ce que l’oeil photographique de Brassaï met en évidence). Donc le dessin est là très tôt, parfois sans notre dessein. A condition de vouloir bien le voir. Un sentier dessiné par des vaches, un visage deviné dans la forme d’un nuage, la fumée laissée par les avions, la trajectoire d’un skieur…

Je pense que le dessinateur doit avoir cette ouverture d’esprit, cette attention aux détails qui fait qu’il n’y a pas de frontières fixes entre beau et laid, mal fait et bien fait, élitiste ou populaire, noble ou vulgaire. Le dessin commence avec les graffitis obscènes dans les toilettes, les piètinements dans la poussière alors qu’on attend son bus, la façon dont on aménage un intérieur. Tout est dessin. Tout pousse à dessiner, surligner, mettre en évidence.

Ce n’est pas un hasard si certains motifs pariétaux de la préhistoire s’inscrivaient dans la forme particulière d’une cavité, comme pour mieux trouver une évidence, souligner une coïncidence, une analogie. Comme si le monde était une grille de lecture, proposant des formes à décoder, des énigmes. Le monde étant à la fois le modèle, l’encre, la page et l’outil. Oui, tout peut être dessin.

La seule différence pour un dessinateur c’est qu’il en fait une pratique à part entière, qu’il répète, plus ou moins consciemment et qu’il donne à voir ce que les autres ne voient pas, il force le trait pour mieux montrer. Comme ces devins qui lisaient l’avenir dans les viscères. « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible », disait très justement Paul Klee.

Tout le monde peut dessiner, tout le monde dessine, même si tout le monde n’en fait pas son obssession.

J’en viens à un autre aspect : le dessin comme pathologie. Dans quelle

mesure dessiner ne relève pas d'un trouble obsessionnel compulsif? Sinon comment expliquer ces heures sur une image, et sa vie entière à dessiner. Car dessiner est comme une démangeaison : plus on gratte et plus ça démange et vice versa. Le dessin est une pratique ludique, j’ai envie de dire innée, spontanée chez les enfants. Les dessinateurs seraient donc des enfants qui ont continué là où les autres, par sérieux, ont passé à des activités plus nobles ou plus utiles.

Cette deuxième nature fait que tout tourne autour du dessin, tout nourrit le dessin. Même dans les moments d’inactions, un dessinateur pense au dessin.

Cet aspect obsessionnel, ce TOC, me fait penser au surnom d’Hokusai : « le fou de dessin ». Son témoignage donne des clés pour comprendre ce que peut signifier l’acte de dessiner :

"…Depuis l'âge de cinq ans, j'ai la manie de recopier la forme des choses et depuis près d'un demi siècle, j'expose beaucoup de dessins; cependant je n'ai rien peint de notable avant d'avoir soixante-dix ans. A soixante-treize ans, j'ai assimilé légèrement la forme des herbes et des arbres, la structure des oiseaux et d'autres animaux, insectes et poissons; par conséquent à quatre-vingt ans, j'espère que je me serai amélioré et à quatre-vingt-dix ans que j'aurai perçu l'essence même des choses, de telle sorte qu'à cent ans j'aurai atteint le divin mystère et qu'à cent dix ans, même un point ou une ligne seront vivants. Je prie pour que l'un de vous vive assez longtemps pour vérifier mes dires."

Dessiner est une quête. Un moyen de comprendre le monde et d’en saisir l’architecture ou l’ordre caché. Dessiner c’est chercher quelque chose et le dessin (en tant que pratique) est un outil d’investigation. La nature du but peut différer, plus ou moins métaphysique ou plus ou moins prosaïque mais il semble évident que dessiner c’est chercher à mieux y voir, déjà dans son propre dessin. A montrer ce qui ne se voit pas. Dresser la main, assouplir les nerfs et le poignet. Aiguiser le crayon et l’œil.

Ce que dit aussi Hokusai, et qui me semble éloquent : arriver à rendre vivant le moindre point, la moindre ligne. Tout le problème du dessin est là. Il faut rendre naturel quelque chose qui ne l’est pas. Faire que cet artefact s’anime de l’intérieur. Qu’un trait trouve sa justesse, qu’une forme nous semble aussi vraie et indispensable que la vie elle-même. Et pour cela il faut cracher beaucoup de faussetés sur le papier, de lourdeurs, de tics graphiques. Chaque dessin cherche son point d’équilibre et avec l’habitude, le dessinateur apprend à reconnaître cet instant de grâce où le dessin lui-même déclare qu’il a atteint sa plénitude. Ce que je dis là peut paraître un peu ridicule ou mystique mais tout dessinateur ressent, je pense, ce que j’essaie de dire. C’est l’instant où la main repose le crayon, ressentant presque physiquement qu’il n’y a plus rien à ajouter.

Dessiner c’est développer ce sixième sens, graphique, qui est l’intelligence du trait, une pensée en action ou un acte réflexif. Comme si on tendait face à soi la page tel un miroir et qu’on tatonne jusqu’à que le reflet qu’elle nous renvoie soit le bon. C’est un anti Narcisse qui se complaît dans le reflet de son apparence : ici il s’agit de polir, corriger, fouiller dans la forme pour y trouver l’image que l’on a comme en négatif, en tête. Une image aveugle, fantôme, qui ne prend vie que plaquée sur une surface. Et qui doit beaucoup à tous les ratés, les essais jetés à la poubelle. Ce qui n’est pas toujours agréable mais qui est si jubilatoire quand la magie opère.

Apprendre à dessiner c’est apprendre à oter les obstacles, un à un, qui nous empêche de bien voir, de voir juste et vrai, de voir la vie elle-même se dessiner.

« C'est comme si la réalité était continuellement derrière les rideaux qu'on arrache... Il y en a encore une autre... toujours une autre. »

Alberto Giacometti


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