Il est parti. C’est bel et bien terminé. Papi Poubelles a tiré sa révérence à la vie, à sa femme et au quartier. Il n’est plus là. Déjà. Mon voisin, Papi Poubelles, s’est éteint de l’autre côté du mur mitoyen et ça s’est passé quelques jours avant la première neige.
On l’a bien compris quand l’ambulance s’est stationnée devant chez nous. On n’osait pas regarder par la fenêtre. On avait un peu peur. Comme si la mort risquait de nous faire une grimace ou un saut. On ne voulait pas que ce soit vrai. On n’en revenait pas.
Après il y a eu la neige et plusieurs jours de grand calme.
J’ai croisé Mamie Poubelles aujourd’hui, pour la première fois depuis qu’elle m’avait « prévenue » de ce qui s’en venait. Elle tenait sa petite enveloppe de paperasse légale serrée dans ses mains. « Pour réclamer ma pension de veuve! », qu’elle m’a dit en étouffant un petit rire triste. Elle s’en allait à la poste. Elle était fatiguée mais belle. Comme polie par le chagrin. La différence entre croiser ma voisine derrière et la croiser devant, c’est la clôture. Aujourd’hui était un bon jour pour la croiser devant. J’ai pris sa main.
- Comment vous allez?
- Je me sens drôle.
-Êtes-vous correcte, toute seule chez vous?
- C’est difficile un peu. La nuit je me réveille pis je regarde par la fenêtre.
Je me retiens de lui dire que j’ai demandé à son mari de devenir le fantôme de la ruelle. Je sais pas comment elle prendrait ça. Elle me raconte qu’il a fini ses jours comme il le souhaitait. « En regardant son sport pis en fumant une dernière cigarette. » Elle lève les yeux au ciel et là, je la reconnais.
- Vous savez que vous pouvez m’appeler s’il y a quelque chose. Je vais vous donner mon numéro.
- Ok. T’es ben fine, ma grande. Je viendrais peut-être cogner demain. Je pense que vous travaillez le soir ces temps-ci han?
- Monsieur Bine, oui. (Je me dis que pour savoir ça, elle doit pas regarder par la fenêtre juste la nuit.) Mais moi je suis pas mal là. Venez me voir quand vous voulez, on va prendre un café. Ça va me faire plaisir. Hésitez surtout pas.
On a encore jasé un peu. Ses fils, le salon, la paperasse, la succession. C’est donc du trouble, la mort.
- En tout cas, on est rendue une belle gang de veuves sur la rue! Madame Italienne en face, Madame Chinoise en arrière pis l’autre, Madame Chose, là, au coin, elle aussi est toute seule.
Dans un film, c’est là que je me serais étouffée. Elle les a appelées comme ça! Madame Italienne, Madame Chinoise, pis Madame Chose. Mamie Poubelles appelle ses voisines en Madames! Comme moi. J’ai eu un frisson et j’ai pensé: C’est Papi Poubelles qui me fait un clin d’oeil. Encore maintenant, ça m’apparaît comme la meilleure explication.
Pendant un instant, j’ai imaginé toutes les veuves du quartier veiller à leur fenêtre pendant la nuit, en petites sentinelles de St-Michel. Comme un club secret de grand-mères insomniaques qui prient, tricotent ou boivent du thé, en surveillant la rue et en attendant le matin. J’ai trouvé ça joli.
Le coeur serré, j’ai embrassé Mamie Poubelles sur les joues et je l’ai priée de venir faire son tour demain. Elle m’a beaucoup remerciée et elle est partie poster sa petite enveloppe, fragile, forte et courageuse, comme le sont souvent les femmes qui se retrouvent seules.