Jour 0: L'accouchement
Ce matin-là, il y a une fébrilité dans l'air. Faut dire que l'expulsion de Bébé fiston est prévue pour le lendemain, alors il y a une excitation générale dans la maison. Branle-bas de combat pour la routine habituelle, c'est-à-dire aller porter Bébé fille à la garderie: lever du lit malgré la bedaine proéminente, déjeuner, course dans la maison pour habiller Bébé fille qui préfère jouer à cache-cache, etc. Une fois la puce remise entre les mains de l'éducatrice, direction bureau du médecin. Histoire de voir comment se porte ce col qui s'est ouvert de peine et de misère au premier accouchement. Allongée sur la table d'examen, les doigts du médecin profondément enfoncés où vous savez, j'ai envie de sauter de joie quand elle m'annonce un «beau 3 cm». Je me retiens, elle a encore les doigts où vous savez, je dis juste youppi!
Légère et optimiste, je quitte le bureau du médecin et me dirige vers le centre commercial pour les derniers achats avant l'arrivée de mon fils. J'ai des contractions. Irrégulières, mais contractions quand même. Je sais que je devrais retourner à la maison me reposer, mais je considère que magasiner des soutien-gorge pour allaiter et un sac à couches, c'est une activité reposante. Je vais dîner chez ma mère. Je retourne à la maison prendre un bain, les contractions arrêtent. En route vers la garderie, elles recommencent. Une fois Bébé fille couchée, plus tard dans la soirée, elles s'intensifient et deviennent régulières. Je sais que c'est pour ce soir. Je dis à l'amoureux d'aller dormir, je le réveillerai quand elles seront intolérables et que je voudrai qu'on me téléporte à l'hôpital pour avoir l'épidurale. Me fiant au premier accouchement, je sais que j'en ai pour une bonne dizaine d'heures encore, alors je vais dans le bain, histoire de m'y assoupir un peu. Je perds du liquide. Finalement, on doit donc partir tout de suite pour l'hôpital. Il est 22h.
À l'hôpital, les infirmières en poste me reconnaissent. Ça fait quand même juste 2 ans que j'ai accouché de Bébé fille et on est dans une petite ville. On rigole entre les contractions. Elles sont intenses, mais tolérables. L'infirmière qui m'a accouché il y a 2 ans m'examine. «Wow, Bizz, 5 cm, ça va bien ton affaire cette fois-ci!», qu'elle me dit. Encore là, je me retiens de sauter de joie, elle a les doigts bien plantés dans la zone de guerre. Je marche dans la chambre, l'amoureux me suit pas à pas et me masse le bas du dos quand je m'accroche à lui de toutes mes forces à chaque contraction. Il est d'un soutien exemplaire. Vraiment. À minuit, l'infirmière m'examine à nouveau. «Eille, eille, eille, Bizz, tu fais ça comme une championne. T'es à 7 cm, on traverse dans la salle d'accouchement». Je ne saute pas de joie, mais c'est juste parce que j'ai une contraction.
On me propose un bain. J'accepte. L'infirmière le fait couler. J'accueille chaque contraction de façon zen et sereine (si on considère que grogner et déboîter les épaules de son amoureux sont des exemples de sérénité). Avant d'aller dans le bain, on m'examine à nouveau. On oublie le bain, je suis à 9 cm.
Je vous épargne ici les détails croustillants de la chose. Même l'amoureux n'ose pas m'en parler. Disons simplement qu'à 2h12, j'avais mon fils tout rose sur le ventre, heureuse comme ça se peut pas, après 5h de contractions et 1h10 de poussée. Je me souviens vaguement d'avoir entendu le médecin dire, un peu de panique dans la voix, qu'il fallait que le bébé sorte, que ça enflait trop et trop vite. Je me souviens du regard de l'amoureux, rassurant quand il fixait ses yeux dans les miens, mais avec une légère pointe de panique juste au fond de la prunelle quand il regardait mon entre-jambe. Je me souviens surtout du premier regard de Bébé fiston, l'air de dire «ah, c'est toi ma maman».
Puis, j'entends la course des infirmières, la voix du médecin qui les presse «vite, vite, il faut faire les points avant que je n'ai plus accès à la déchirure», la voix de l'amoureux qui me félicite, l'arrivée de la troisième infirmière qui répète «c'est une petite maman bien courageuse». Sur le coup, je ne porte pas attention à tout ce brouhaha. Pourtant, quand le médecin s'écrie: «Ok, ça commence à ressembler à une vulve», je devrais comprendre que quelque chose ne va pas.
Jour 1: L'émerveillement
Bébé fiston est calme. Il dort beaucoup, j'ai donc amplement le temps de récupérer cette journée-là. Je scrute les moindres détails de ce visage tant imaginé. J'en suis déjà folle, je le couvre de baisers. L'allaitement se fait comme par magie. Bref, un charme.
Le seul hic, c'est le regard des infirmières. Pas celui qu'elles posent sur le visage angélique de mon fils. Non, le regard plein de panique sourde et de pitié qu'elles lancent vers mon entre-jambe. Chaque fois, j'en ai mal au ventre. Je décide donc de ne pas regarder là. Pas aujourd'hui. Je veux seulement profiter de mon bonheur.
Jour 2: La chose
Je sors de l'hôpital le lendemain. Je n'ai pas le choix, il faut que je constate moi-même l'étendue des dégâts. Alors que je suis seule dans ma chambre, j'ose un coup d'oeil vers la région dévastée. Je me retiens à deux mains sur les barreaux du lit pour ne pas pleurer. Je n'ai plus de vulve. À la place, une grosse bestiole mauve et poilue. Il ne lui manque que des pattes et on aurait l'impression que cette chose-là pourrait marcher. Je panique. Je respire. Je regarde mon fils. Qu'est-ce qui m'est arrivé? Est-ce que c'est normal? Est-ce que ça va guérir un jour? Pour vous imager l'ampleur de la chose, imaginez que vous avez un pamplemousse à la place de la vulve. Désagréable, pas vrai? Maintenant, imaginez que vous avez une petite citrouille. Ça, c'est moi. Imaginez que la citrouille fait mal et vous empêche même de marcher. Voilà.
Quand le médecin vient voir comment je me porte, je fais des blagues. Tout le long de mon séjour à l'hôpital, je fais des blagues. Pour garder courage, pour ne pas me taper un autre post-partum, pour cacher la panique dans mon ventre. Le médecin me dit qu'elle n'a jamais vu cela de toute sa carrière. Oui, certaines femmes enflent, mais jamais à ce point. L'infirmière qui l'accompagne acquiesce. En 30 ans de carrière, c'est la première fois qu'elle voit ça. Évidemment. Fallait que ça m'arrive à moi. La vie s'est dit: «Tiens, Bizz est capable d'en prendre. En plus, ça va lui faire quelque chose de loufoque à raconter sur son blogue. Ça fait qu'on va lui faire enfler la noune jusqu'à ce qu'elle explose et on va se marrer».
Merci la vie. J'apprécie ce cadeau inespéré...
Jour 3: Le retour à la maison
Est arrivé ce qui devait arrivé: la peau a fendu. Trop étirée, la pauvre. La douleur est grande. On me demande si je suis allée à la selle. Je réponds très franchement que pour le moment, aller à la selle représente sans doute ma pire phobie. On me comprend. Je sais que je dois quand même y aller avant de quitter l'hôpital, au cas où ça dégénère. Je m'installe donc sur le trône et j'essaie. Ça dégénère. Pour rester dans la métaphore, disons que le bouchon fécal est solidement engagé, mais refuse de sortir, ce qui est douloureux au point d'en avoir des vertiges. Ma mère court chercher une infirmière. À deux, elles me sortent de la salle de bain et m'étendent sur le lit. Je pleure. Pas parce que ça fait mal, mais plutôt parce que c'est terriblement humiliant. Avec l'aide de l'infirmière, j'arrive à vider mes intestins. Ça aura pris 70 minutes de poussée pour sortir le bébé et tout autant pour sortir la crotte (pardon pour ce langage cru, mais c'est ce que j'ai dit à l'infimière avant de m'écrouler, épuisée, sur le lit). Les joies de la maternité, qu'ils disaient, han....
Avant de quitter, le médecin vient voir mon état. Elle me prescrit toutes sortes de pilules. Elle me félicite et me dit qu'elle me trouve bien courageuse. Elle me souhaite bonne chance.
Je retourne donc à la maison avec une vilaine plaie à soigner, des tonnes de médicaments à prendre, un bain de siège, les hormones de la montée laiteuse au fond de la gorge et un bébé tout neuf qui refuse d'être emprisonné dans son siège d'auto. Bébé fille m'attend à la maison. Elle me boude un peu, puis vient se coller contre moi pendant que Bébé fiston dort à poings fermés. L'amoureux commence la préparation du souper. Soudain, panne d'électricité.
Oui, oui, mesdames et messieurs. PANNE D'ÉLECTRICITÉ. Vous devinez que c'est l'apocalypse à la maison. Le souper n'est pas prêt, il fait noir et Bébé fille a peur, je meurs de faim et mon anémie m'étourdit, l'amoureux est l'homme le plus nerveux (et le moins patient) de la terre parce que c'est trop de pression après ces derniers jours d'émotion à ne pas savoir si sa blonde va se remettre de cet accouchement. J'essaie de rester calme, de rassurer tout mon petit monde et j'ai mal dans la zone de guerre. L'électricité revient vers 21h, tout le monde se couche, exténué et je n'ai pas la force de faire mes traitements.
Jour 4: Le baby blues
Le lait est arrivé dans la nuit. Bébé fiston en a goulûment profité. Ma mère se pointe à la maison à 8h, parce que l'amoureux doit aller travailler (.........). J'ai mal. Je pleure. Ma mère m'examine. En voyant son regard, je comprends que c'est grave. La plaie a doublé. Bébé fille est intolérable. Je suis épuisée. Une infirmière vient à la maison. Je pleure en discutant avec elle. Je suis mise au repos forcé. Bébé fille passera le week-end chez ma mère, moi je ne quitterai pas mon lit et l'amoureux s'occupera de la maison. Priorité: guérir. Je rage contre la vie, que je trouve injuste.
Jours 5, 6 et 7: La montée
À force de rester clouée au lit, je retrouve peu à peu mon énergie. On me nourrit, on me soigne, on m'écoute pleurer mon baby blues. Je reprends espoir. La plaie s'améliore, l'enflure diminue. J'arrive à marcher un peu dans la maison. Bébé fiston fait ça comme un champion. Il dort tout le temps et ne se réveille que pour boire. On récupère ensemble. Bébé fille est perturbée, je le vois, je l'entends dans sa voix. Je lui murmure que ça va passer, que bientôt maman pourra s'occuper d'elle. Elle me repousse, j'en ai le baby blues tout remué. Le 6e soir, c'est moi qui la couche. Je caresse son dos longtemps, doucement, en lui chantant sa berceuse préférée. Elle se tourne vers moi, au bout d'une heure, prends mon visage dans ses toutes petites mains. Je comprends qu'elle vient de me pardonner. Je l'embrasse et elle s'endort. Le lendemain, à son réveil, je retrouve ma petite fille charmante et sa voix heureuse.
Jour 8: La descente
Je dois aller voir mon médecin. Me laver et m'habiller me demande toute mon énergie. Ma plaie est douloureuse. Je pleure dans la voiture de ma mère qui m'accompagne: j'ai peur qu'on m'hospitalise. Dans ma tête, j'avais prévue être complètement guérie cette journée-là, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire. L'enflure est moins importante, mais l'hémorragie interne a laissé beaucoup de sang coagulé sous la peau et la pression est énorme. Mon médecin de famille m'accueille dans son bureau en me demandant comment va le moral. Elle a remarqué mes yeux bouffis. Je pleure à gros sanglots en lui racontant l'accouchement et les derniers jours. En fait, je reste dans son bureau une bonne heure, pendant laquelle les larmes coulent à souhait. Comme elle n'a pas encore reçu le dossier de mon accouchement, elle m'examine. Je revois à nouveau la panique dans son regard. Elle téléphone à des spécialistes. On ne peut rien faire d'autres qu'attendre. Elle parle d'un mois de rémission. Je pleure. Un mois, c'est long. Elle me prescrit encore d'autres médicaments. Bientôt, je pourrai m'ouvrir une pharmacie tellement j'en ai.
Je retourne à la maison. Heureusement, Bébé fiston se porte à merveille. Il grandit, grossit, boit bien et est calme. C'est tout ce qui compte. Et Bébé fille l'adore. Quoi demander de plus?
Jours 9, 10, 11, 12 et 13: La guérison
Les jours passent, la guérison va bon train. Je reçois l'aide de ma mère qui se démène corps et âme pour moi. L'amoureux travaille, il fait son gros possible le soir en arrivant. Bébé fille est sage et obéissante. J'arrive à lui donner son bain et la coucher tous les soirs. Elle prend soin de son petit frère. Le baby blues est terminé, mon moral se porte à merveille. Chaque jour, la plaie diminue, je la bichonne avec grand soin.
Puis, un matin, la douleur est différente. Comme si ma peau tire. Je comprends que ce sont mes points que je sens. J'en avais oublié la déchirure. Je ris et j'appelle ma mère. J'ai jamais été aussi contente de sentir des points de toute ma vie. C'est signe que la guérison est proche. Ma mère vient à la maison. Elle regarde la zone de combat. Elle pleure de joie en voyant le résultat des derniers jours. Je reprends espoir.
Oui, je serai bientôt guérie.
Jour 14: Le bonheur
Je sors enfin du lit. Je vais moi-même porter Bébé fille à la garderie. Je fais mon épicerie. Je conduis ma voiture. Je flotte sur un nuage. La zone de guerre ressemble maintenant à toute autre zone d'un accouchement normal et sans complications. Ce jour-là, je remercie la vie. C'est fini, le pire est passé. Je profite enfin de ma famille, de ces instants de bonheur à faire des tours avec Bébé fille pendant que Bébé fiston roupille près de nous. Je bois enfin cette coupe de vin attendue depuis 9 mois, yeux dans les yeux avec mon amoureux. Je suis heureuse: une maman comblée.
Jour 20: Le regard de l'infirmière
Ayant retrouvé mes forces, je me livre à une séance de magasinage des fêtes, histoire d'habiller mes enfants pour le réveillon. Je suis fière d'eux, j'ai bien l'intention de le crier sur tous les toits et de les gâter comme il se doit. Prenant pause dans un fauteuil pour allaiter un Bébé fiston gourmand, je croise une des infirmières qui a pu contempler la chose dans toute son immensité le lendemain de l'accouchement. Elle dit ce que personne n'avait osé me dire alors.
«Tu sais Bizz, c'était paniquant pour tout le monde. Pas seulement parce que c'était gros, mais parce que ça n'arrêtait pas de grossir. On se demandait toutes si ça se stabiliserait.»
Je comprends soudain que je l'ai échappé belle. Que j'ai de la chance d'être capable de marcher au bout de 20 jours. Que je suis une brave survivante de la noune.