…C’était un jeune marin, qui revenait de guerre. Qui revenait de guerre, avec son régiment, pour aller voire Adelle. Adelle, sa bien aimée…Cette chanson me revient à la tête à chaque fois que je plonge dans mes souvenirs. Ses paroles étaient juste des mots pour les bambins que furent mes camarades de classe, mais pour moi, chaque mot avait sont poids. J’imaginais ce jeune marin, et j’imaginais Adelle. Je sentais le malheur que vivait se pauvre petit soldat à chaque fois qu’il allait voir les parents de sa bien aimée et que ceux-ci, lui disaient qu’Adelle n’était plus. J’étais peut être le seul qui attendait qu’un jour, en chantant, la maîtresse, finisse par dire que le jeune marin trouva Adelle, drapée dans sa robe blanche de mariée, parée de son bouquet de fleurs, l’attendant, avec un sourire angélique et un coeur regorgé d’amour et de passion.
J’avais 3 ans et des poussières quand maman m’inscrivit à l’école. Un jour, de bon matin,après le petit déjeuner, elle me mit mes nouveaux vêtements, achetés la veille, me coiffa, me parfuma et me prit la main pour aller dehors. Une voiture, avec plein de petits enfants comme moi, qui regardaient par les fenêtres , était stationnée au coin de la rue; un endroit que je redoutait, puisqu’on m’interdisait de le dépasser lorsque je jouais dehors. Maman parla un peu avec une jolie dame qui a ouvert la porte de la voiture, puis me présenta à elle et vlan je changeais de main, moyennant deux bises sur la joue et un au revoir sec et froid de ma génitrice. La porte se referma, la voiture démarra et pour la première fois de ma vie j’étais loin de mes proches, substantiellement abandonné à des gens que je ne connaissais pas voguant vers l’inconnu, enfin c’est ce que je pensais, en ce moment là, livré à moi-même, et à cette jolie dame qui sentait bon. Remarque: j’ai toujours eu un faible pour les femmes qui sentent bon, un truc qui m’a suivi dans toute ma vie et je…je vous dirais plus tard.
Dans la voiture, tous les enfants semblaient perdus, comme moi, et s’occupaient à se chamailler pour les plus érudits d’entre eux ou se regarder avec méfiance comme pour les solitaires comme moi. Il y avait même ceux qui avaient mine d’avoir pleuré et d’autres qui mangeaient leur Henry’s blottis dans leur siège. Moi, je contemplais tout ce beau monde, et je me demandais où allions nous comme ça? J’étais perplexe, mais pas inquiet. Je restai placide et tenait calmement dans mon siège comme on m’a appris à le faire lorsque maman n’était pas là. Peu de temps après, et quelques ramassages plus loin, la voiture s’arrêta et on nous fit descendre. Nous entrâmes, après avoir escaladé de petites marches, dans une grande maison, décorée par des dessins et des tableaux et un grand monsieur nous salua, un par un avec un bonjour ferme et courtois, puis on nous fit entrer dans une cour où il y avait plein d’autres petits enfants, radieux , et des dames, vêtues de blouses blanches qui s’occupaient à organiser ce beau monde en rangées de deux par deux. Nous fûmes répartis selon quelque règle de circonstance que je ne comprenais pas sur le coup, mais il me semblait que tous ceux qui étaient dans ma rangée étaient plus ou moins de ma taille, puis nous fûmes conduits dans des salles, avec plein de jouets, plein de décors aux murs, plein de chaises, plein de tables et un tableau. Une autre jolie dame, nous montra chacun sa place, elle nous installa selon la liste qu’elle utilisait pour nous appeler. Riad Essbai! Maman m’avais appris à répondre à cette appellation, et dès que j’ai entendu ces syllabes qui faisaient mon identité, je me suis approché de la dame qui m’a indiqué une chaise libre, où je me suis assis, en attendant de savoir qui allait se joindre à moi face au grand tableau noir.
Yasmina Zinbi, je me rappelle toujours de son nom complet (et je connais par coeur toute la liste de tous ceux qui ont été avec moi en classe durant toutes mes années d’école, de collège et de lycée. Une prouesse tiens! ), une jolie petite fille, avec une belle natte qui lui pendait sur le dos est venue s’asseoir à coté de moi. Je me rappellerai toujours de cette petite frimousse, avec ses petits yeux bridés, son sourire éclatant et sa salopettes bleue marine dont les bretelles étaient maintenues par de jolis papillons roses. Yasmina était mon premier amour, l’amour précoce, celui qu’on a tous connu à l’âge de l’innocence. Un amour, causé par l’approche soudaine de l’autre, ou par le hasard absolu… ou serait ce le bisou qu’elle m’a donné pendant la récréation, en guise de remerciement pour le Henry’s que j’ai partagé avec elle ? Je ne sais pas! Tout ce dont je me rappelle, c’est que j’ai passé la matinée à jouer, à répéter des lettres et des mots après la jolie dame à la blouse blanche, qu’à midi j’ai mangé avec Yasmina, toujours à mes cotés, qu’on a partagé une banane, sa banane, puisque moi je n’avais qu’un Henry’s, et qu’au moment de la sieste, on a dormi cote à cote, en écoutant frére Jacques. L’après-midi, une fois que la dame finit de ramasser les jouets, et de nous distribuer une collation faite de lait et de gaufrettes, nous fit sortir, deux par deux, main dans la main cette fois, nous regagnâmes la cour pour aller dans les voitures qui allaient nous emmener chez nous. Yasmina ne vint pas avec moi, elle partit en courant vers un homme qui l’attendait dans une autre voiture, ce dernier descendit, tout de bleu vêtu, avec un aigle doré sur la poitrine.
Durant le trajet du retour, j’aurais dû penser à maman, à toutes ces choses que j’ai vécues cette journée là, à la jolie dame en blouse blanche, aux jouets, ou aux enfants que j’ai rencontrés, mais rien de tout cela ne m’avait traversé l’esprit à la fin de ma première journée de classe. Mon regard était perdu dans le vide, et je ne voyais que l’homme en bleu avec l’aigle doré. J’avais encore une fois, cru voir quelqu’un que je connais bien, quelqu’un que je n’ai pas vu depuis des mois, quelqu’un qui manque à l’appel autour de la table, quelqu’un qui a peut être ses raisons de se cacher encore, mais je sais qu’il va revenir! A la maison, maman m’a pris dans ses bras, et grand papa me caressa les cheveux. Tous étaient fier de moi, car je n’avais pas pleuré, car j’avais été un petit homme courageux, mais personne n’a remarqué que dès qu’on m’a posé à terre, j’ai couru dans la chambre, ouvert le placard et là… tout en larmes, j’ai enfin pu libérer mes émois et enlacé un uniforme bleu avec un aigle doré…