Tous les dimanches matin, dès que le muezzin eut appelé au fajr, je me réveillais en compagnie de grand papa, avec qui je passais la nuit à écouter la radio. Nous faisions nos ablutions, enfin lui faisait les siennes, moi je le singeais tant bien que mal, tandis que grand maman, elle, avait déjà préparé le délicieux m’semen et s’occupait à préparer la djellaba de sidi Addellah et sa canne qui lui servait plus à imposer un respect que tout le monde lui vouait, lui qui était un grand homme dans tous les sens. Mon grand père était mon idole, je le lui collais aux pieds et essayais d’être son égal. Il lisait beaucoup, surtout le coran, et avait une habitude très spéciale, tous les dimanches… Me lever de si bonne heure était un plaisir pour moi. Je me délectais du m’semen pendant que Gand papa s’habillait pour aller à la mosquée, et dès que ce dernier était paré pour sortir, je m’empressais d’enfiler mes souliers et de lui prendre la main. Dehors, tous ceux qui partaient vers « Jamaa Moulay Alhassan », saluaient mon père avec beaucoup de chaleur et de respect et me collaient des bises ou me caressaient les cheveux tendrement. J’étais fier d’être le fils de cet homme qui était le gendre de l’homme qui me tenait la main, particulièrement quand les gens m’appelaient « weld Chahide »…
Dans la mosquée, je regardais les hommes se plier à une rigueur religieuse que je ne comprenais pas encore, mais qui me fascinait par la chorégraphie et surtout par la mélodie du coran psalmodié à la façon marocaine, par l’imam qui n’était autre que le frère du mari à la tante maternelle de Maman. Dans ma famille maternelle, presque tous les hommes étaient des Imams, des fkihs ayant appris le saint coran et officiant dans les mosquées un peu partout entre Essaouira et Kenitra. Mon grand père était le seul à avoir choisi de faire autre chose, après son retour de la guerre mondiale. Il faisait l’intérim parfois de certains Imams, mais n’a jamais voulu en faire un métier à part entière, même s’il ne faisait rien depuis sa retraite.
Sidi Abdellah ben lhachmi Essbai, était un homme qui surplombait tous les autres par sa taille élancée. Il avait une voix rauque mais il parlait sur un ton apaisant et doux. Il portait toujours un chapeau dit watani, et une djellaba en laine, blanche les vendredis, et de couleurs diverses en semaine. Le dimanche, c’était la djellaba makhzania, qui lui servait de parure officielle en tant que membre du club des anciens combattants de Kenitra. Maman prenait toujours, le soin, de me dire de ne pas faire de bêtises quand j’allais avec grand papa à cet endroit. Elle me disait que je devais bien me comporter pour qu’elle soit fière de moi, et pour qu’elle m’achète le vélo dont je rêvais…
Une fois la prière finie, et avant de rallier le club où pendant toute la matinée, les anciens combattants de l’armée française et de l’armée de libération allaient se raconter des histoires, les mêmes de tous les dimanches, en jouant aux cartes, au dames ou aux dés ; nous partions au café Tanjaoui, où nous prenions notre petit déjeuner, en compagnie d’autres hommes tous parés d’insignes, comme celles qu’arborait fièrement mon grand père. Cela me rappelait une médaille que maman gardait précieusement et à laquelle je n’avais pas le droit de toucher, elle trônait sur la vitrine du hall, entre le portrait de mon papa et son diplôme de TOP GUN. Je me rappelle, encore, de ce jour, où après m’avoir bien habillé, ma maman m’avait pris la main durant tout le trajet que nous avions fait à bord d’une jeep de la gendarmerie, pour que je n’aille pas taquiner la crosse du pistolet du gendarme qui me fascinait beaucoup. Les mains moites de maman semblaient pleurer les larmes qu’elle n’osait plus verser, et qu’elle remplaçait désormais par un sourire courtois, à tous les gens qui avaient pris place à coté de nous, dans une grande salle, où plein d’hommes en uniformes étaient assis en face de nous sur une estrade, pendant que l’un deux, aux épaules étoilées, faisait un discours longuement applaudit par l’assistance. Des hommes défilèrent, ensuite, sur l’estrade, et après leur avoir rendu le salut militaire et serré la main, l’homme aux étoiles sur les épaules, leur accrochait des insignes sur la poitrine, tandis qu’eux, gonflaient la poitrine fièrement avant de se tourner vers nous, et nous adresser un salut militaire. Je regardais ce défilé avec un air amusé, quand maman se mit debout et marcha vers l’estrade, me tirant dans la lancée, derrière elle. Nous escaladâmes les trois marches sous les applaudissements et nous nous retrouvâmes devant cet homme qui nous saluât avec beaucoup de respect. Il prit une jolie médaille en forme d’étoile, pareille à l’étoile verte du drapeau qui était mon premier exercice de dessein à l’école et en mettant un genou à terre, il vint l’accrocher à ma poitrine. Il me prit ensuite par les épaules, me fit les bises, et me dit : « Ton papa tenait à ce que tu aies cette médaille à sa place, et tu dois savoir, que nous tous sommes tes papas désormais…Ton papa n’est pas mort ! »…
En descendant les marches, toujours en tenant la main de maman dont les larmes avaient cessé de couler depuis longtemps, les miennes s’abattaient de mes paupières en contraste avec le sourire que j’affichais fièrement pendant que les hommes en faction, rendaient les honneurs au martyr, armes à l’épaule, à notre passage devant eux…Depuis ce jour, et chaque dimanche, lorsque je partais au club des anciens combattants, je n’étais pas l’enfant que tout le monde voyait, mais un petit homme qui ne rêvait de revenir un jour dans ce lieu, avec plein d’insignes sur la poitrine et d’histoires de guerre à raconter…