Salut Greg!
Tu permets que je t’appelle Greg? Comme tu as mis ta langue dans ma bouche je me dis que je dois pouvoir te nicknamer. On est assez intimes. La raison pour laquelle je t’écris Greg, c’est que je crois qu’hier soir au bar, tu as dû me trouver un peu bizarre. Tsé, ça doit pas t’arriver souvent quand tu cruises une fille de te faire demander quatre fois : «T’es sûre là que t’as déjà pas une femme dans ta vie?» Le pire, Greg, c’est que tu m’as dit «non», mais la réponse, la vraie réponse, ça pourrait aussi ben être oui. Peut-être même que tu t’appelles pas Greg, peut-être que tu t’appelles François. Je ne le saurai jamais. T’avais le beau jeu, t’étais en ville pour une conférence, ni vu ni connu tsé, tu pouvais faire du plat à une fille pendant que ta femme torchait vos trois enfants toute seule à la maison. Peut-être même qu’avant de sortir au bar pour chasser, tu l’as appelée pour lui dire «je t’aime, je me couche tôt ce soir, je suis vanné».
Mais je vais te donner le bénéfice du doute, pour l’instant tu t’appelles Greg, t’es célibataire, t’avais le droit de sortir flirter. Pis c’est moi qui t’a tapé dans l’œil. J’ai trouvé ça ben correct. Je te trouvais beau moi aussi. Ben, ce que j’arrivais à voir de toi, parce que j’étais saoule en osti. Quand j’suis arrivée à la SAQ hier, j’ai demandé au commis de me conseiller une bonne bouteille de mousseux pour accompagner une peine d’amour, c’est ben pour dire. Bref, tu m’as fait du plat, je me suis laissée faire, on a parlé un peu, pis on a dansé cochon. Là je me fais rire! C’était la première fois de ma vie que je dansais cochon. J’ai toujours trouvé ça un peu malaisant le monde qui danse cochon. Pis hier, j’étais tellement dépassée et saoule que je me suis dit «Ah! Pis d’la marde, j’suis pas pire que les autres, moi itou je danse cochon!» Ça fait qu’on se colle, on se taponne et à un moment donné la chose s’est produite. Tu as posé tes lèvres sur les miennes, tu as mis ta langue dans ma bouche. Bref, tu m’as frenché.
Mais voilà Greg, quand je t’ai embrassé, je n’ai rien ressenti. Toi ou un mur, je n’aurais pas su faire la différence. J’ai vraiment essayé fort, j’te jure! J’ai essayé de goûter tes lèvres, de sentir ton souffle, j’ai cherché le désir dans ta bouche, mais je n’ai rien trouvé. C’est pour ça que finalement, épuisée par trop d’efforts je t’ai dit : «Je m’excuse, j’suis pas capable, j’ai l’cœur brisé.» Au début, t’as pas trop compris Greg, tu m’as dit «c’est pas grave, c’est pas sérieux on fait juste s’embrasser pour le plaisir». Probablement que tu pensais que je m’imaginais que t’étais en train de me demander ma main, pis que je te répondais que j’étais pas prête pour le moment. Mais c’était pas ça. Pas du tout. Je venais de réaliser une chose horrible. Moi, à qui les fesses chauffent dès qu’un homme m’effleure. Moi, qui a tout de suite une montée de salive et une envie de mordre dès que je vois une bel paire d’épaules. Moi, j’étais asséchée, aride, tarie. Je n’ai pas eu le choix de me faire plus convaincante pour te repousser «non, non, j’suis juste pas capable, je ne peux pas t’embrasser, j’y arrive pas. Bonne soirée Greg, désolée».
Je veux que tu saches que t’as été cool, t’as vraiment agi en gentlemen, tu m’as pas traitée d’agace, tu t’es retiré dignement. Je pense que tu peux retourner chez toi la tête haute (à moins que t’aies une femme et que tu m’aies menti, si jamais c’est le cas Greg, je pense que tu mérites que je te déchire).
Mais en me réveillant ce matin, je me suis dit «Pauvre gars, je lui dois quand même quelques explications c’est pas très cool de se faire revirer de bord de cette manière». C’est pour ça que je t’écris. Parce que peu importe qui tu es Greg, le mec qui ment et trompe sa femme ou le mec gentil et honnête, je pense que, grâce à cette lettre, je suis parvenue à te passer le message que tu mérites.
Hier, grâce à toi, j’ai découvert quelque chose de bien triste.
J’ai le mécanisme du désir cassé Greg, je vais prendre le temps de l’envoyer au garage pour le faire réparer avant de refaire un essai routier, j’espère juste que c’est pas une perte totale.