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Les Fusillés (texte inédit, extrait suite)

Publié le 06 mars 2012 par Yannbourven
(suite)
16 heures :
les mots sont de retour ! Comme les gens ! Ressac ! En bas c’est noir de monde ! ça hurle ! ça s’égorge ! ça se viole ! ça se planque derrière les voitures ! ça se kidnappe ! ça s’écharpe ! Je referme la fenêtre, je me bouche les oreilles en pleurant, de nouveau paralysé par la peur, il faut attendre que tout se tasse, les hommes se reprendront en main !
17 heures :
les mots d’effroi tourbillonnent autour de moi, étrangers, cherchant la page sœur, ils fouillent, je les vois distinctement : Société ! Tueur ! Monde agonisant ! Vive la liberté ! Absurde ! Nouveaux ! Maux de tempête ! Terreurs nocturnes ! Carnavals ! Cimetières de richesses ! Trouilles ! Tumultes ! Charmes aiguisés ! Chambres noires ! Souillures ! Rêves de Fusillés !
18 heures :
je ne veux pas sortir, je dois m’engager ici, dans ma chambre poétique, quitte à ce que le Bourven redevienne le Bourvaine. Me noyer dans mes mondes imaginaires, mes contes épileptiques. Fin de journée, mon double frappe à la porte. Il est grand temps de plonger.
19 heures :
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits. » Le Bourven pense au ciel puis à Baudelaire… à nos angoisses d’hommes et à ce magma de cauchemars en fusion qui se répandra dans les villes immobiles, à l’amour balancé sur les trottoirs, que les chiens dévoreront, et qu’ils chieront quelques heures plus tard dans les jardins d’enfants.
20 heures :
il reprend son souffle et récupère la bouteille de whisky, les fœtus de chiens ont disparu, il l’ouvre et boit quatre gorgées, il rit à gorge déployée, il fouille dans son jean, récupère un sachet contenant un fond de cocaïne, l’éclate sur la table, se fait les trois dernières traces, il est heureux, les tape, il est triste puisqu’il n’y en a déjà plus, alors il se met à chanter très fort, essaie de danser à la fenêtre, sous les cris des habitants qui se battent, il se met à pigner comme un gosse qui se serait égaré dans un supermarché.
21 heures :
les étoiles s’allument et l’attaquent tandis qu’il se tord de douleur, un mal de ventre horrible, il s’accroche à des pensées positives, son studio rétrécit, il songe à la mer, calme, il souffle, les cris dehors, mais la mer se déchaîne, il se roule par terre, hurle, s’arrache les cheveux, il attrape un Moleskine et un stylo mais il ne peut plus rien écrire, il rampe en pleurant, atteint son lit, se vautre, étendu sur le dos il se souvient de son enfance, et de la forêt sombre qui le digérait, la nuit ne va pas tarder, il a hâte de s’y perdre, il attend les réponses !
22 heures :
il croit qu’il se vide, les cauchemars se succèdent, il se cramponne, transpire, le drap empeste la Mort, les mots se font descendre par les veines de son cou, ils tombent comme des chauves-souris, en poussant de petits cris aigus. Au pied de son lit c’est le charnier poétique, les phrases se décomposent, charogne surréaliste, des tombes poussent comme des champignons, ci-gît l’espoir, ils ont assassiné la poésie-vérité, se dit-il enfiévré, ils m’ont eu, mais qui ! qui tire les ficelles de la résignation ? se répète-il, désespéré, le système a gagné une bataille ! mais pas la guerre ! se rassure-t-il, il faut que je me reprenne, il est encore temps de créer, de chercher la clé ! alors il souffle, et se dit que cette clé a pour nom Ihnès !… 
23 heures :
accalmie, le souvenir d’Ihnès emplit le studio comme un parfum de joie. Le monde du dehors se tait, les Fusillés se sont mêlés aux vivants, qui sait… Ihnès me hante comme un fantôme, de retour, je l’espère, je ne veux plus te chasser de ma tête désormais, reste là, c’est ça, je la distingue nettement malgré le noir complet, t’as beau de planquer, ma jolie fugueuse, tu es là, assise au bord du Fleuve, celui qui coule entre mes yeux écarquillés… Minuit ! Nous sommes enfin le lendemain !

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