Ce soir en revenant de ma répétition de théâtre avec Maski-rit, la troupe parascolaire du Cégep de Rimouski, j’avais envie d’écrire un texte sur eux, les cégepiens que je côtoie chaque semaine. J’en ai de toutes les sortes, qui sont issus de tous les milieux, avec leurs histoires singulières, avec chacun leurs problèmes, leurs lumières, leurs talents, leurs aspirations, leurs rêves. Ils sont pour moi une source intarissable d’énergie et d’inspiration. Bien sûre, parfois, même souvent, ils me poussent au bout de ma patience. Parce qu’ils sont en retard, n’ont pas appris leurs textes, ne sont pas concentrés, ont oublié une répétition. Ah ça me met en rogne! Oh que ça me met en rogne! Mais je sais, que, chacun à leur façon, ils font de leur mieux, même si certains investissent plus d’efforts dans leur mieux que d’autres. J’essaie de faire preuve de patience et de compréhension – il faut que j’aie un show rodé en avril tabarnak! – parce que je sais que chacun doit composer avec sa situation monétaire, scolaire, sentimentale, familiale, professionnelle etc. Malgré tout ça, rares sont les bonheurs qui puissent égaler celui que je ressens lorsque je vois qu’un de mes comédiens s’est amélioré, qu’il a compris des trucs fondamentaux, que le théâtre lui a permis de repousser ses limites. Rares sont les satisfactions qui dépassent cet instant magique où je vois enfin émerger un personnage.
J’essaie d’être juste, de traiter chacun selon sa singularité. Ça demande de l’énergie et de la concentration, mais ils en valent tous la peine. Ils ont tant à offrir. Je suis si curieuse de savoir ce qu’ils vont devenir…
Je voulais parler des maskiriens ce soir. Puis, quand je suis arrivée chez moi, twitter m’a appris qu’il y avait eu des interventions policières musclées devant les bureaux de loto-Québec. Et de fil en aiguille, j’ai su qu’un étudiant risquait de perdre son œil, j’ai même vu la photo de ses blessures.
Mes cégepiens à moi, à chaque répétition je les entends parler de leur grève. La plupart sont pro-grève, beaucoup s’investissent dans le piquetage, les manifs etc. Je n’ose pas imaginer à quel point je serais en tabarnak (un tabarnak au moins 100 000 fois pire que celui des répliques mal apprises) si jamais l’un d’entre eux risquait de perdre un œil pour avoir revendiqué et défendu ses droits.
Je prends rarement part aux débats, je n’aime pas beaucoup l’argumentation, ça n’est pas ma tasse de thé. J’ai toujours l’impression de mal m’exprimer, de manquer d’informations, d’avoir un argumentaire mal ficelé. Pourtant, il y a des valeurs primordiales dont je suis absolument certaine et sur lesquelles pèse une menace de plus en plus troublante. Je crois en l’égalité de l’accès à l’éducation, pour tous, sans discrimination liée au portefeuille ou à quoique ce soit d’autre; même pour les cancres, surtout pour les cancres. Je crois en la liberté d’expression. Je crois en la non-violence. Je crois qu’il y a des choses précieuses et fragiles liées à notre humanité que nous devons protéger.
Je sais que ces jeunes qui manifestent, qui se soulèvent, qui disent non, nous offrent une opportunité en or. Celle de revoir nos racines. Parce qu’il me semble de plus en plus que notre société a poussé croche et que toute cette histoire dépasse, et de loin, les considérations monétaires. Moi, je veux d’un monde où tout être humain – même ceux qui apprennent leur texte de travers, même ceux qui arrivent en retard aux répétitions – se voit donner l’opportunité d’offrir un bon show. Oui, y’en a qui prennent plus de temps que d’autre, so what? Si au bout du compte, ils contribuent, à leur façon, à rendre le spectacle plus solide et sensible, le jeu en vaut la chandelle.
Aujourd’hui je constate que des policiers et des escouades anti-émeute prennent trop de pouvoir et ça me fait peur. Ça n’est pas le monde dont je rêve. Ni pour moi, ni pour mes maskiriens.
Je n’ai pas parlé pas de chiffres, je ne sais pas compter. J’ai parlé de ce que je sais, je sais ressentir et écouter. Et si j’ai bonne oreille, la résonnance de nos politiciens fait de moins en moins de sens. Ça fait que «Go on» mes kids du cégep (oui je m’excuse, c’est de même que je vous appelle quand vous êtes pas là) continuez de lutter pour nous réécrire un avenir, parce que celui qui est tout tracé, j’sais pas pour vous autres, mais moi, j’en veux pas!