Chaque année, c’est la même chose. La neige commence tout juste à fondre que déjà je me lance corps et âme dans un grand ménage. Je frotte, nettoie, gratte, balaie, aspire dans chaque pièce de la maison. Tout y passe : murs, plafonds, planchers, armoires, fenêtres et placards. J’ai chaud, je sue, j’ai les mains plissées à force de les plonger dans l’eau. Je découvre des objets dont j’avais oublié l’existence, des «au cas où» si bien rangés qu’ils passent inaperçus quand, justement, j’en aurais besoin. Je perds de précieuses minutes à lire des cartes de souhait retrouvées entre deux livres dans la bibliothèque ou à regarder des photos qui s’étaient glissées dans un document sur le bureau. Avec plaisir, je coche les étapes sur ma longue liste de choses à nettoyer.
Chaque année, c’est la même ritournelle. Une fois que la maison brille de partout, je me dirige d’un pas ferme vers LE placard mystérieux : celui où s’empilent des poches de vêtements qu’on ne met plus et qui attendent patiemment que je fasse le tri dans ce qui peut encore servir et ce qui doit être donné ou jeté. Chaque année, je soupire de désespoir parce que je n’ai pas fait le tri l’année précédente et qu’en plus, une poche additionnelle s’est ajoutée. J’imagine les vêtements froissés, déçus d’être entassés là, inutiles. Je les entends presque m’appeler et me supplier de les délivrer. Toujours, je referme la porte du placard en me disant que je m’occuperai de ses poches un peu plus tard. Puis, je les oublie. Tout à fait volontairement, je l’avoue.
Cette année n’y échappera pas. Je sais déjà qu’une fois la maison étincelante, mon regard se tournera vers le placard maudit. Quand j’apercevrai la porte, mon cœur battra la chamade, mon sang se glacera dans mes veines et j’aurai une goutte de sueur qui glissera de ma tempe à ma mâchoire. J’ouvrirai la porte, presque tremblante. Je retiendrai un cri de stupeur lorsque, après avoir poussé l’interrupteur de la lumière, apparaîtront les poches de vêtements de l’année passée et celle qui s’est ajoutée cette année. J’entendrai les vêtements réclamer de l’ordre parmi eux ou l’asile politique dans une friperie. Je dirigerai ma main moite vers la première poche, juste devant mes pieds. J’agripperai son nœud, croyant apercevoir les vêtements bouger d’excitation sous le plastique vert. Puis, cruelle, je retirerai ma main, ignorant les cris de protestation des vêtements à nouveau abandonnés à leur triste sort. Je reculerai, décidée, et refermerai la porte sans pitié avant de me diriger vers la cuisine pour préparer le souper.
Cette année, par contre, il y aura du rebondissement. Le suspense a assez duré, je n’en peux plus de ce rôle de bourreau du vêtements usé. Cette année, pendant que les pâtes frémiront dans la casserole, j’ouvrirai à nouveau la porte du placard maudit, j’agripperai une à une les poches pleines, je les empilerai dans la voiture et j’irai les porter dans une friperie. Ça me fera plus de place pour les prochaines poches…