Tout commence par des disparitions, des déplacements d'objets. Shimura-san vit seul dans une maison silencieuse. Cet homme ordinaire rejoint chaque matin la station météorologique de la ville, déjeune seul et rentre tôt dans une retraite qui n'a pas d'odeur, sauf celle de l'ordre et de la mesure. Depuis quelque temps déjà, il répertorie scrupuleusement les niveaux et les quantités de nourriture stockée dans chaque placard de sa cuisine, et finit par installer des webcams dans sa maison, dont il scrute les images tout au long de la journée. Il découvre alors qu'une femme vit dans sa maison et se sert dans ses placards quand il est absent...
C'est par ce court roman d'une centaine de pages, inspiré d'un fait divers réel, que j'ai découvert Eric Faye, qui a d'ailleurs remporté le Grand prix du roman de l'Académie Française pour ce livre en 2010. Un roman écrit d'une plume légère, d'une écriture fluide, dont la lecture est très agréable. Sans jamais forcer le trait, Eric Faye aborde dans ce livre, semblant les effleurer, la solitude, l'identité et la honte. La solitude d'un homme qui vit seul et à qui personne ne vient rendre visite ; la solitude d'une femme sans abri qui a élu domicile dans la maison d'un autre mais est forcée de vivre cachée, d'être invisible. L'identité, dans ce livre, est liée au domicile : une fois celui-ci profané, violé par une autre, Shimura-san ne peut "plus se sentir chez soi", et éprouve la honte de n'avoir pas su protéger son intimité.
Nagasaki, c'est aussi un roman sur l'individualisation croissante de la société japonaise et, probablement, occidentale. Une individualisation qui favorise la solitude et l'isolement, comme c'est magnifiquement développé dans ce passage :
Je n'ai jamais aimé ceux qui réussissent.Eric Faye alterne, dans son récit, les points de vue de Shimura-san et de la clandestine, il donne les deux versions des faits et permet à chacun de s'expliquer. Chacun des deux personnages fait preuve de respect pour l'autre, et personne ne blâme personne. C'est certainement de cette manière que ce récit prend toute son ampleur, sans jamais s'alourdir d'une quelconque moralité bien-pensante.
Non pas parce qu'ils réussissent, mais parce qu'ils deviennent le jouet de leur succès, d'un Moi aveuglé. Le Moi à tout prix est la fin de l'homme.
La Crise rend les hommes un peu plus seuls. Que signifie encore ce nous qui revient à tire-larigot dans les conversations ? Le nous meurt. Au lieu de se regrouper autour d'un feu, les je s'isolent, s'épient. Chacun croit s'en sortir mieux que le voisin et cela, aussi, c'est probablement la fin de l'homme.
Ce livre est un véritable plaisir à lire, il est profond et juste, tout en interpellant le lecteur sur les travers d'une société où l'homme se perd peu à peu.