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On ne va pas se plaindre

Publié le 07 avril 2012 par Sophie007
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Quand une conversation prend des allures de conversation bourgeoise, il est fréquent qu’elle se close par la sempiternelle formule : « mais bon, on ne va pas se plaindre quand même! ». Comprendre, on ne va se plaindre que la température de l’eau de la mer ou de la piscine est trop froide pour s’y baigner mi-septembre alors que l’automne est déjà là à Paris et que l‘on continue à dîner dehors ; on ne va pas se plaindre de ne pas trouver un jardinier capable d’entretenir le jardin et de tailler correctement les mûriers platanes alors que des milliers de gens attendent une place en HLM ; on ne va pas se plaindre d’être épuisé à la fin de l’été car les amis ont tous défilés alors qu’on a la chance d’avoir une belle villa, un bel appartement ou même ne serait-ce qu’un toit ; de même, on ne va pas se plaindre que son quadra ou quinqua de conjoint travaille trop alors qu’à cet âge nombre de salariés sont déjà sur la touche voire hors circuit quand ils ne sont pas chômeurs. Eh oui, et n’en déplaisent à certains, les privilégiés ont parfois conscience de leur qualité de vie. Ils ont beau avoir ce que beaucoup n’ont pas – ou n’ont plus-, ils restent aussi des êtres informés, plus ou moins perméables au monde qui l’entoure. Certains culpabilisent. D’autres non. Cela dépend bien évidemment de l’histoire de chacun et de ce qu’il semble être politiquement correct de dire et même de penser. La frontière des plaintes se déplace ainsi en fonction de l’interlocuteur. Avec son voisin ou une personne de sa condition, on pourra se lâcher, parler par exemple de cette averse déprimante qui sévit depuis -montre en mains- au moins deux heures alors qu’on est seulement fin octobre. Bref, dire ce tout ce que l’on a sur le cœur, même si ça peut paraître indécent, l’autre comprendra et ne jugera pas. On aura le même sentiment d’appartenance. Celui d’appartenir au clan des privilégiés bien sûr. Et ce sera bon. Bon comme une jeune-mère qui viendrait d’accoucher d’un magnifique bébé dans un service de la maternité où il n’y aurait que des enfants atteints d’une grave maladie ou d’une monstrueuse difformité, et qui se retrouverait avec comme camarade de chambre une jeune-mère ayant elle aussi la chance d’avoir un enfant en parfaite santé. Elles pourraient communiquer leurs joies et leurs petits tracas. Une joie immense et des petits tracas sans réelle importance mais des petits tracas quand même qui viennent non sans culpabilité affecter la joie. Elles savent qu’elles auraient pu être de l’autre côté du couloir, qu’à un moment même elles l’ont craint et que le fait que tout se soit bien passé pour elles, semble relever du miracle. Faisons ici un pari : une fois les faits exposés et les questions élucidées, laquelle des deux chuchotera la première « mais bon, on ne va pas se plaindre quand même » ?


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