Vous vous êtes couchée, la veille, complètement crevée, avec la ferme intention de raviver la flamme sexuelle de votre couple. Dans votre cas, on ne parle même plus de flamme, c'est à peine une mèche un peu chaude. Il n'en manque pas beaucoup pour que votre conjoint réclame le droit à l'allaitement exclusif, lui aussi.
La nuit a été courte: bébé a sans doute eu vent de vos désirs charnels puisqu'il a réclamé vos seins fortement convoités par tous les hommes de la maison. Il les a réclamés assez souvent pour que vous vous soyiez éveillée avec une légère migraine. La journée d'ensuite a été pénible. Pas de répit. Aucun. C'est tout juste si vous avez eu le temps de sauter dans la douche. Il a fallu négocier serré pour y arriver: un rouleau de papier de toilette complet déroulé dans la cuisine contre cinq minutes sous le jet. Ça vous apprendra à vouloir vous laver quand vous êtes seule avec les enfants.
Pendant la préparation du souper, vous vous êtes servie un petit verre de vin. C'est bien connu, le vin délie les langues et la vôtre a un noeud coulant à force de ne pas avoir servie (sensuellement parlant, on s'entend). Évidemment, vous avez tout juste eu le temps d'en prendre une gorgée que, déjà, la coupe a été bousculée par un cahier à dessins propulsé avec force. Vous en versez dans une autre coupe, parce que la première n'a pas survécu au carnage du cahier à moitié mangé par bébé. Quelques gorgées suivantes, vous avez le coeur léger (et la tête qui tourne un peu); la fatigue des derniers jours vous a rendue plus sensible à l'alcool.
L'heure du repas se passe comme à l'habitude: exclamations d'enfants qui ont faim, exclamations d'enfants qui trouvent que c'est trop chaud ou pas assez, réclamations d'eau ou de lait, refus de prendre une bouchée, éternuement et propulsion de la nourriture sur vos vêtements, lancer de la bouchée sur votre jupe, sermons, soupirs, quelques rires et vaisselle.
S'en suit le bain et toutes les éclaboussures qui viennent avec. Vous avez chaud. Le vin, sans doute. À moins que ce ne soit vos efforts pour habiller des enfants qui refusent de mettre leur pyjama. N'empêche, la sueur qui perle sur vos tempes et fait friser votre frange vous donne la désagréable impression de ressembler à Pierre Lebeau (pardon Pierre, tu es un excellent comédien, mais tu es laid, c'est ainsi). On s'entend qu'à ce moment précis, vous n'avez qu'une seule envie: dormir sous la douche (parce que prendre une douche pour ensuite aller dormir dans votre lit demande beaucoup trop d'efforts).
Les enfants sont au lit pour la nuit.
Pardon, je rectifie.
Les enfants sont au lit pour quelques heures d'affilée. Trois. Quatre, si vous avez fait une bonne action dans la journée et que la vie souhaite vous en récompenser.
Vous, vous avez enfilé une tenue aguichante, des talons aiguilles et avez sorti le fouet.
Pardon, je rectifie.
Vous, vous ronflez sur le divan avec votre toupet luisant à la Lebeau. Vous avez même la bouche ouverte. C'est votre conjoint qui vous réveille; vous parlez en dormant. Du charabia sur la ligature des trompes et la vasectomie. Allez savoir pourquoi.
Vous vous apprêtez à vous assoupir à nouveau quand vous sentez un poids sur votre sein gauche. Puis, sur le droit. Et quelque chose d'humide et chaud dans votre cou. Une langue, sans doute. Vous ouvrez les yeux et retenez un cri de frayeur: ayant la tête tournée, vous avez un gros plan sur vos aisselles si poilues que vous pensiez, l'espace de trois secondes, qu'il y avait là une bestiole en train de faire son nid. Les poids sur les seins (il s'avère que ce sont deux mains d'homme) et le truc chaud et humide dans votre cou (une langue, effectivement) se retirent rapidement après ce cri.
Vous balbutiez un «hurmphf...je vais aller prendre une douche» et joignez le geste à la parole. Dans la salle de bain (où vous avez retiré tous les miroirs), vous regardez ce corps qui, jadis, était ferme et proportionnel à sa taille. Ah! Ce que vous donneriez pour revivre l'espace d'un instant ces années où votre plus gros complexe se résumait au fait que vos bonnets de soutien-gorge affichaient un petit A. Bien sûr, aujourd'hui, vous portez du C, mais vous le portez légèrement plus bas. Votre ventre refuse catégoriquement de rester prisonnier de vos jeans préférés. Sans parler du reste qui serait proportionnel à votre taille si vous mesuriez 8 pieds. Allez, consolez-vous. Non, vous ne faites plus tourner les têtes des hommes sur votre passage, mais personne ne vous a jamais souri avec autant d'amour que vos enfants le font. Et votre homme, il vous trouve belle (sauf quand vous portez vos jogging gris).
Vous sortez de la salle de bain. Nue. Pour vous donner de l'assurance, vous vous imaginez avec le corps de Salma Hayek, tiens. Clin d'oeil coquin en direction du conjoint. Vous lui dites de venir vous rejoindre dans le lit quand il aura terminé d'écouter son hockey. Tant qu'à monter, vous en profitez pour ranger la brassée propre qui traîne sur la table depuis 2 jours. Une fois dans la chambre, vous prenez la pile de paperasse et rangez le tout dans les dossiers de la maison. Vous refaites le lit. Mettez un petit coup de parfum. Enfilez le string qui vous semble le moins poussiéreux. Ramassez les bas sous le lit. Refaites de l'ordre sur les tables de nuit.
Vous vous installez dans le lit et attendez.
Vous passez en revue les courses à faire du lendemain. Les oeufs à ne pas oublier. Les couches en spécial à la pharmacie. La facture d'électricité à payer.
En bas, une équipe compte un but. Vous entendez les exclamations de la foule.
Vous entendez des ronflements.
Les vôtre.
Puis, les pleurs d'un bébé.
Le vôtre aussi.
Il est minuit. Votre conjoint dort à vos côtés.
S'il a eu du sexe, ce soir, ce n'était définitivement pas avec vous, finalement.
C'est ça, le sexe après les enfants.