Cas pratique : grâce à l'une de vos connaissances qui traîne un peu dans le milieu, vous vous retrouvez, tout tremblant, votre roman à la main, dans le bureau d'un grand éditeur. Sur son visage se lit la fatigue due à son métier, son absence d'inutile bienveillance, son expérience constituée de milliers de refus à des nouveaux manuscrits. Cela va être dur. Il vous annonce qu'il n'a que dix minutes, une réunion l'attend après. La question est : comment pousser cet individu à éditer votre roman ?
Vous voulez convaincre ? Vous tourner vers l'argumentation raisonneuse, sans fioriture, avec franchise ? « Mon premier roman est un travail de longue haleine, je ne pensais jamais le finir, mais grâce aux conseils de Gustave Borjay, que vous devez bien connaître, j'ai pu faire pas mal de remplissage à peu près passable pour en arriver à la fin moyennement révolutionnaire que j'avais trouvée lors d'une phase de mal-être de mon adolescence. » Attitude sans aucun doute courageuse. Vous continuez : « Le style n'est bien sûr pas parfait, c'est un premier roman, mais je décris très bien les arbres. »
Vous pouvez aussi tâcher de persuader, en maniant l'emphase, en usant de votre bagout, votre interlocuteur. « Vous tenez là, si je puis dire, quelque chose de nouveau. Ce n'est pas un pur ovni, ce n'est pas un concept inconnu, mais le traitement, le ton sont différents. Je sais ce qu'on recherche dans un roman, de l'émotion, des découvertes, du voyage. Eh bien elles y sont ! Si vous me donnez la chance, vous étendrez votre catalogue et toucherez de nouveaux clients, car, je peux vous le garantir, ils n'auront jamais lu de telles descriptions d'arbres ! »
Enfin, vous pouvez tâcher de manipuler, ce qui n'est rien d'autre que de la persuasion au niveau supérieur. « D'autres maisons d'éditions m'ont offert de juteux contrats, j'attends de voir ce que vous me proposez. » Peut-être un peu suicidaire face à un vieux roublard. « J'ai déjà deux romans derrière moi, d'un bon niveau, mais je voulais attendre, commencer par éditer directement un chef-d'œuvre. »
Sachez-le, la conviction passera toujours derrière la persuasion, voire la manipulation, c'est-à-dire derrière l'accent vibrant de votre voix, derrière vos yeux attentifs, intelligents mais pas plus insistants qu'il ne faut, derrière vos vêtements qui ne feront de vous ni un type trop branché, ni un loseur complet, ni un nudiste, derrière votre discours qui fera dynamique sans faire école de commerce.
Et, si vous en doutez encore, jetez un regard en arrière, aux récentes élections présidentielles de 2012. D'un côté un candidat misant sur une répulsion à l'ennemi public, la répulsion étant bien entendu plus efficace que la raison. De l'autre un candidat basant l'essentiel de sa campagne sur un discours énergique destinant à faire oublier les mécontentements dus à son précédent mandat. Enfin, entre les deux, l'essai spectaculairement inopérant d'un discours se voulant raisonné.
Gustave Borjay vous salue.
Si je décris si bien les arbres, c'est que je les ai observés longtemps.