L’autre jour, je parlais avec une amie de la vieillesse et de la mort. Elle me disait que ça ne la dérangeait pas de vieillir. Et moi j’affirmais le contraire. Mais ça n’était pas tout à fait exact. Je n’ai pas peur de vieillir, pourtant je trouve la brièveté de la vie humaine consternante. Il me semble que dès que l’on atteint l’âge de comprendre comment il peut être simple d’être heureux, on sent déjà que notre corps est éphémère. En fait, ces deux états son très liés. Le bonheur découle de la conscience aigue de la fin, on n’en sort pas. Voilà pourquoi j’ai dit à cette amie : «J’ai tellement de fun à la vivre cette vie-là, je ne peux pas concevoir qu’elle soit si brève!»
Ce soir. L’odeur du gazon frais coupé, le chant des grenouilles, le soleil qui rosissait le ciel, les petits oiseaux qui chantaient, mon papa souriant sur le tracteur à pelouse; j’avais les larmes aux yeux et j’étais plein de gratitude. J’ai couru sur le terrain pour vérifier que les fleurs vivaces, les petits arbres et les rosiers que j’ai plantés dans les dernières années étaient encore vivants. Je me suis exclamée en voyant que les pivoines étaient déjà en boutons. Je suis allée caresser les fleurs du poirier, j’ai recueilli quelques pétales qui sont tombés dans ma paume. J’ai farfouillé dans la terre pour le plaisir de la sentir entre mes doigts et sous mes ongles. Et je savais que j’écrivais pour ça, pour rendre hommage à tout ça.
Mon voisin tient une liste exhaustive de tous les oiseaux qu’il voit sur le terrain au printemps. Il note à quelle date ils sont arrivés. Chaque jour, il prend sa liste et il coche les oiseaux qu’il observe. Il écrit aussi à quel moment les feuilles des arbres, les plantes, les fleurs du poirier apparaissent. Cela peut sembler vain, mais je crois que ce geste est de la plus haute importance. Mon voisin note l’écoulement du temps et les choses qui changent doucement année après année. Je voudrais écrire un roman comme ça, qui ne ferait qu’énumérer les sortes de plantes et les noms d’oiseaux. Qui dirait que les choses meurent et que c’est pour ça qu’elles sont belles.
Je sais que ce texte peut sembler étrange et très peu engagé dans la période trouble que nous traversons. Mais j’ai la prétention d’affirmer qu’il est aussi engagé que tous les éditoriaux que nous avons vus passer depuis ces 100 jours de grève. Il est engagé comme les poèmes de Pessoa qui se contente d’affirmer qu’une fleur est une fleur. Parce que tout tient dans cette simple phrase. Une fleur est une fleur. Notre humanité consiste à voir cette fleur et à la nommer.
Alors en ces jours à la fois sombres et lumineux, j’aimerais que les êtres humains prennent le temps de s’arrêter et de voir.
Je sais que le monde en ressortirait changé.