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De l'apprentissage du dessin 19

Publié le 13 juin 2012 par Headless

 

Dessiner c'est lutter

« Qu’est-ce que dessiner ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible qui se trouve entre ce qu’on sent et ce que l’on peut » Van Gogh

J'ai présenté quelques extraits de mes réflexions sur le dessin à Frédéric Pajak, de façon assez fortuite ce qui a donné lieu à un échange intéressant sur ce que signifie dessiner. Je sentais qu'on partageait certains points de vue mais qu'en même temps on ne les formulait pas de la même façon ce qui créait des sortes de malentendus. Dans mon effort de clarification et de communication de ce que je perçois moi-même du dessin (et dans ma propre pratique et dans celle de mes étudiants), j'ai perçu une méfiance de sa part sur un langage vaguement universitaire et l'usage de telles ou telles références. C'est bien probable que je n'ai pas une rigueur suffisante pour m'exprimer sur ce sujet mais j'essaie quand même. Après tout, tout individu (même le plus érudit ou rigoureux) n'est pas à une contradiction prêt. L'addition des pensées finissant quand même par créer une sorte de tout intelligible. Et qu'il ne faut pas chercher à avoir raison et devoir faire face à des points de vues antagonistes.

On parlait à la fois du plaisir de l'acte mais aussi de la souffrance qui l'entraînait, voire qui le précédait (voire son origine même). Il insistait plusieurs fois sur une forme d'intranquilité liée au dessin, une dimension presque tragique (si j'ai bien compris ce qu'il essayait à ce moment de me dire), de l'ordre de la blessure.

Et c'est vrai, puisque dessiner est une quête dont le véritable but ne sera jamais vraiment atteint (dans la mesure où on cherche vraiment quelque chose qui se refuse à nous). Dessiner c'est se condamner à être plus ou moins déçu par le fruit de nos recherches. Sinon pourquoi continuer ainsi une vie durant? Comme le dirait Beckett : "mal-vu, mal-dit. L'art est un jeu de dupe où on tente de nommer l'innommable, cerner le sans-forme. Et faire de cette impossibilité son art touche à l'absurde et au tragique de notre condition. C'est une quête sans fin comme l'a bien exprimé aussi Giacometti dans ses réflexions.

Et dans la même temps, trouver (un style, une manière, une forme) n'est-ce pas aussi une punition? Dessiner est très lié au désir. Mais en même temps également à ce qui renvoie au noyau dur de l'être. A la solitude essentielle de toute individu et son besoin d'expression, voire parfois même de cri : Je suis. Je suis là. Je perçois (et la perception elle-même devient parfois une souffrance : voir et être vu). Il n'y a pas de dessin sans regardeur, même si cela se limite à ce premier témoin : soi-même. Et je sais par expérience que le dessin non éclairé par le regard d'autrui crée pas mal de souffrance chez son auteur (ntamment de la frustration). Une oeuvre graphique a besoin d'être vue pour exister.

Et la médiatisation de sa production ne règle pas forcément le problème, y compris les compliments. Il faut toujours continuer à chercher sans quoi on meurt de son immobilité. Donc on pourrait parler du dessinateur comme d'un voyageur intranquille ou sans repos. 

Cette passion, comme une croix portée s'accompagne heureusement d'une jubilation. Sinon je pense que personne ne supporterait cette tension. Et même chez les esprits les plus pessimistes on voit clairement ce plaisir. C'est ce que je remarque chez Bacon par exemple, malgré la crudité et la noirceur de son propos, je vois la joie de peindre, manifeste, rendue visible. Même dans un monde sans Dieu et dans "l'être-viande" il n'y a pas rien : il y a au moins cette joie qui mène sur une forme de beauté.


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