Magazine Humeur

Ce train qui emporta mon coeur…

Publié le 16 juillet 2012 par Docteurho
Ce train qui emporta mon coeur…En Mai 2000, je venais de boucler mon troisième mois de travail chez cette société à la renommée internationale, au centre d’appels, la ruche comme aimait l’appeler Rachid, un de mes meilleurs amis et collègue. Ma première expérience professionnelle à proprement dire, et la dernière, puisque je n’ai travaillé que pour cette maison durant toute ma carrière qui a connu l’évolution, la réussite et l’échec aussi, mais rien ne vaut ma première année là bas, celle de tous mes beaux souvenirs à Rabat . J’avais 23 ans, beaucoup d’ambition et plus de cheveux sur le crane qu’aujourd’hui ! C’était une époque de ma vie, où toutes les promesses d’un bel avenir m’étaient données, car j’avais un travail bien payé, je m’habillais comme un prince et je faisais la navette entre Kenitra et Rabat, ce qui me permettait de beaucoup méditer, de lire mais aussi d’écrire. Si la passion de mettre ma pensée, mon vécu et mon imagination en exergue, ne m’a jamais abandonné, depuis le jour où j’ai découvert ce plaisir, elle avait été accrue et pris un autre sens, avec la transhumance qui rythmait ma vie durant ces années là. Mes voyages (symboliques puisque le trajet de la navette était plus un transit qu’autre chose) matérialisaient mes fredaines imaginaires que n’égalait que la métaphore de mon verbe puéril, et me permettaient au fil du temps, au gré de mes rencontre dans le train, et autres faits divers de tisser de véritables trames à ce livre que je n’ai jamais écrit. Mon travail, était lui aussi une vraie passion, du moins au départ, parce qu’il me donnait l’occasion de rencontrer des gens et de parler avec eux. Chaque jour, je discutais avec pas moins de trois cent personnes différentes, chacune m’apportant son lot de nouveauté, de découverte…Dans le contact humain, qu’il soit virtuel ou réel, il y a toujours un transfert qui s’opère, tel que quelque chose de l’autre devient notre, de gré ou à l’insu total, et moi, avec ma sensibilité à fleur de peau, j’étais bombardé tous les jours par des milliers d’auras, chacune me transperçant plus que l’autre. Au fil du temps, j’ai connu l’ivresse du voyage dans le sang de l’autre, dans l’esprit de l’autre, dans la vie de l’autre…J’ai connu des plaisirs inouïs, des orgies où tous mes sens se délectaient d’un orgasme incommensurable, abyssal même. J’ai vécu aux extrêmes de ma passion, sur le plus haut de mes nuages, et j’étais content de me retrouver sur le chemin de ma reconnaissance personnelle : l’estime de moi-même, par l’estime de l’autre ! Une sorte de philosophie mitigée, transfuge aux règles qui dominaient ma vie avant cette illumination. J’aimais à travailler les vacations du soir, et je me portais volontaire pour des horaires que d’autres ne supportaient pas, pour le bonheur de faire tout ce que j’aime par un temps que j’aime. La nuit, était devenue mon domaine privé depuis que j’avais découvert le nectar appelé café, et la jouissance des belles heures pendant les quelles tous dormaient et que je me sentais dans l’immensité du noir, seul sur la terre. J’aimais la solitude mais aussi les bains de foule où personne ne me connaitrait, pour être l’unique prophète, le seul à connaitre tout le monde, par l’abondance de mon humanité extravertie et pervertie au gré de mon émoi versatile. Un autre oxymore des miens, qui décrit partiellement toutes les contradictions de cet être que je me suis et que je ne vous suis pas. La nuit, au travail, je faisais tout ce que je pouvais pour vivre mes fantasmes, j’étais le commercial aux dents de squale, le conseiller à la sagesse de merlin, l’animateur de radio à la belle voix qui nuance les morceaux de musique, le cœur chaleureux qui écoutait des fois plus que parler. La nuit mes clients, appelaient pour signaler une perte de portable, pour demander un code PUK ou juste pour plaisanter. Il y avait aussi des filles en mal d’amour, qui aiment parler et lier des relations avec tous les mecs qu’on pouvait appeler gratuitement. Nous étions un peu plus doux et gentils que le policier du 19 ou le pompier du 15 et ça leur faisait plaisir à elle comme à certains d’entre nous. La vulgarisation des portables par la carte prépayée, avait fait une révolution, et commençait à dessiner les traits du nouveau Maroc. Un ami m’a dit un jour, que c’est la téléphonie mobile prépayée qui a vraiment libéré la femme marocaine, et il a raison dans un contexte, car pour moi, la femme marocaine a toujours été libre. Mais je m’égare… Les filles du soir, étaient pour leur majorité des allumeuses viles et d’une bassesse écœurante, ou des romantiques en quête de sensations suaves sur le fond de « bayt assada9a » qu’elles écoutaient presque toutes. Passé une certaine heure, il n’y avait plus qu’elles qui appelaient, et c’était à cela que se résumait notre travail à mes camarades et moi : nous amuser avec. Pour le lunatique que je suis, c’était un exercice à forte valeur éducative en outre du ludique d’avoir des courtisanes différentes à chaque soir, celles là je les appréciais plus encore que les habituées qui devenaient oppressantes et d’un fade nauséabond. Dans le calme d’une nuit, le 27 Mai 2000 à 3h24 du matin pour ne rien préciser, mon téléphone se mit à sonner. Durant cette vacation là, on n’avait reçu beaucoup d’appels, Samedi soir oblige. J’étais fatigué, et laminé par le joug du manque de sommeil dû aux caprices d’une de mes dents de sagesse la veille, et je regardais un film sur mon ordinateur. Ce n’est qu’au bout de la septième sonnerie, au moins que j’ai décroché… Et ce fut là un appel qui m’a fait penser, plein de fois, à ce qu’aurait été ma vie si je l’avais raté !

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine