Comme d’habitude, mon retour temporaire sur le Caillou me plonge dans un abîme de perplexité et de réflexions.
A peine la nouvelle majorité élue dans l’Hexagone, tout ce que le Caillou compte de représentants du peuple s’est précipité à Paris pour plaider le maintien des spécificités locales. Comprendre : des crédits.
Parlons-en des spécificités locales. Pour l’anecdote, le statut des fonctionnaires permet par exemple toujours à des Calédoniens en pleine possession de leurs facultés physiques et intellectuelles de partir dès 53-54 ans en congés payés permanents (je veux dire à la retraite) pour 25-30 ans. Sans parler des ‘congés administratifs’ qui deux ou trois fois au cours de leur carrière, permettent à certains fonctionnaires calédoniens de prendre une année complète de congés payés. C’était compréhensible à l’époque où il fallait 3 mois de bateau pour rallier l’Europe. Mais aujourd’hui, certains profitent du système pour s’offrir un tour du monde.
En cela les Calédoniens sont bien français : il faut demander des sacrifices pour sortir de la crise, mais pas à moi !
Le coût de la vie sur le Caillou est toujours aussi obscène, alors même que le salaire horaire minimum est très inférieur à celui de l’Hexagone. On invoque les coûts de transport. Lorsqu’on les rapporte aux prix des produits, ils n’expliquent qu’une part minime des surcoûts observés. D’ailleurs, même les produits locaux sont hors de prix au marché de Nouméa. Les squats dans les mangroves autour de Nouméa ne sont pas près de disparaître. L’exclamation de mon petit dernier à leur vue m’a fait sursauter : c’est des bidonvilles, ça ? Lui qui n’en avait plus vu depuis notre déménagement d’Argentine en Allemagne ne pouvait y croire, vue la richesse apparente de Nouméa. Il y a donc des Calédoniens qui roulent sur l’or, et d’autres qui tirent le diable par la queue.
On veut créer des emplois dans l’intérieur de l’archipel. Soit. Je suis perplexe sur la conscience politique et la philanthropie des groupes internationaux impliqués dans les deux nouvelles usines métallurgiques. Récemment il était question de l’implantation d’une nouvelle usine en… Corée, avec la bénédiction des élus calédoniens (indépendantistes) concernés, pour traiter le minerai de nickel du nord calédonien.
On veut aussi créer des emplois en développant le tourisme. Mais le rapport qualité-prix s’avère toujours aussi imbattable, dans le mauvais sens.
Je ne me risquerai pas à une quelconque analyse des aspects ethniques de l’évolution de la société calédonienne. On remarque quand même un désir de plus en plus affiché de se construire un avenir ensemble. C’est réconfortant pour ceux qui comme moi étaient un temps appelés victimes de l’Histoire par les indépendantistes.
Attention à l’observateur extérieur tenté de prendre fait et cause pour les gentils Kanaks contre les méchants Caldoches. (Je hais ce mot Caldoche mis à la mode dans les années 70 par un ministre démago qui n’en maîtrisait pas la sémantique cachée.) Les choses sont bien plus compliquées qu’il n’y paraît.
Pour ma part, je serai éternellement méfiante vis-à-vis de la Coutume, cette tradition selon moi moyenâgeuse et liberticide qui régit la vie des kanaks.
Mais je relève plusieurs faits nouveaux.
Les Calédoniens sont désormais conscients de vivre dans un joyau naturel, et ils en prennent soin. Bien plus même, ils s’efforcent de le mettre en valeur. La Nouvelle-Calédonie conservera donc longtemps la splendeur de ses plages de sable blanc. La Coutume kanake, que je vilipendais plus haut, n’y est pas étrangère. Rendons à César… Elle y a contribué en refusant d’abord les implantations d’hôtels sur ses terres, à l’Ile des Pins ou Ouvéa, par exemple, avant de l’autoriser à ses propres conditions.
De moins en moins de Calédoniens connaissent la Métropole. De plus en plus, ils envoient leurs enfants à l’université en Australie ou en Nouvelle-Zélande, qu’ils connaissent parce qu’ils y vont en vacances. Ce sont d’ailleurs parfois les mêmes qui bénéficient de ces fameuses spécificités si coûteuses au contribuable hexagonal. Les mêmes aussi qui disent sans rire : pour ce qu’elle fait pour nous, la France !
On peut imaginer qu’un jour lointain, les élites calédoniennes, toutes ethnies confondues, feront se détourner pour de bon l’archipel de la France et opter pour un rattachement à l’une des puissances du Pacifique.
Pourtant la Nouvelle-Calédonie représente un intérêt stratégique certain : le minerai de nickel d’abord (30% des réserves mondiales, sauf erreur de ma part) ; ensuite la zone économique de 200 miles autour des côtes de l’archipel, à l’heure où l’on commence à peine à envisager l’exploitation des fonds marins ; enfin une tête de pont militaire qui pourrait resservir un jour, les Américains ne s’y étaient pas trompés en prenant la Calédonie comme base arrière et porte-avion dans la bataille de la mer de Corail pendant la seconde guerre mondiale.
Tout cela pour dire que la Métropole continuera de payer pour la Calédonie, parce que c’est son intérêt à long terme. Mais tant qu’à payer, ses hauts fonctionnaires devraient se dépêcher de faire preuve d’inventivité pour raviver ‘l’amour de la Patrie’ et ramener les vacanciers et les étudiants calédoniens dans l’Hexagone.
Ou bien l’Australie et la Nouvelle-Zélande obtiendront par l’université avec un siècle de retard ce qu’elles réclamaient ouvertement pendant les Evénements des années 80 : la France hors du Pacifique !