« Le ministre de la culture Boverpick quitte le Belgambourg en direction de Bruxelles pour opérer un rapprochement politique avec les Wallons. Il ne sait pas que toute une équipe de policiers suit ses moindres faits et gestes. C’est que le ‘l’unification culturelle’ ourdie par le Ministre ne plaît guère à Madame la Duchesse qui n’aura dès lors de cesse de le pousser dans un traquenard qui fleure mauvais le scandale sexuel… »
De l’aveu de son auteur, ce vingt-et-unième tome de Canardo est inspiré en grande partie de l’affaire DSK. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler les déboires sentimentaux de l’ex Président du FMI et ex-futur président français selon certains sondages. Je vous ferai par contre l’injure de vous dresser en deux trois coups de cuillère à pot le portrait de l’ami Canardo aka le flic le plus lascif de l’histoire de la bande dessinée. Dans la tradition polaroïde noire américaine, notre détective privé anthropomorphe a toujours au coin du bec un mégot ou un goulot. Comprenez : le monsieur est désabusé et donc dépressif. Véritable épave sans âge, Canardo brille rarement par ses exploits. Alors, forcément, on ne peut pas dire que les enquêtes affluent. Alors, forcément, on ne peut pas dire que Canardo puisse faire le difficile, disons plutôt que « le vieux briscard n’est pas regardant sur ce qu’on lui commandite », comme le résume bien Madame la Duchesse.
Dans Piège de Miel, donc, il accepte de participer à la mise en scène d’un scandale en-dessous de la ceinture sur un gros bonnet belgambourgeois, à coups de chambre d’hôtel surveillée et de pute de luxe gracieusement rabattue par le connaisseur qu’il est. Ca ne vole pas très haut, vous me direz. Et vous aurez raison. Le scénario tient dans un mouchoir de poche, à croire que Benoît Sokal se contente d’avoir une idée et de la décliner sans trop se fatiguer. Il ne se passe pas grand-chose dans cet album, si ce n’est que tout le monde couche avec tout le monde. Ca parle cul et cru à chaque coin de case. Ce n’est pas toujours fin-fin.
Cette liberté de ton, si propre à Sokal, flirte ici par trop avec le vulgaire. D’accord, les animaux sont des hommes comme les autres. D’accord, la fornication peut prendre des allures nauséabondes chez les puissants, comme chez les impuissants. Sexe et pouvoir font bon ménage depuis la nuit des temps. Mais tout de même. Le roi de la métaphore grinçante nous a habitués à des dialogues autrement plus élevés que « Ils ont baisé comme des porcs toute la nuit : je les ai entendus malgré l’épaisseur des murs séculaires que le monde nous envie… » ; dans la bouche d’un ado noble en plus, vive la caricature bon marché, alors que quelques pages plus tôt le même Geoffroy (« Gode », bien sûr, comme l’appelle sa « conne de sœur ») se fendait d’un délectable : « Plus tard, voyez-vous, j’envisage de prendre ma carte au PS et je me pacserai avec une fille d’ouvrier du bâtiment si possible immigrée de première génération histoire de renouveler le sang familial vicié par des siècles de consanguinité complaisante. »
Epars, on retrouve le cynisme caustique made in Canardo. Ca fuse encore de-ci de-là mais c’est noyé dans un récit mal dégrossi qui ne parvient finalement pas à convaincre. Comme dans les précédents albums, la verve si riche de Sokal est battue en brèche par le simplisme scénaristique. Reste que les clins d’œil à l’actualité arrachent encore de temps à autre un sourire. Ainsi, le projet d’unification culturelle supranationale de Boverpick, censé « rassembler les minorités pour contrer efficacement le parisianisme culturel tout puissant » trouvera quelque écho chez certains anti-parigots.
Côté dessin, on retrouve l’efficacité de Pascal Regnauld, comme la couverture ne l’indique pas. Secret de polichinelle que la délégation du dessin à Regnauld. Dix albums que ça dure. Plus de dix ans que l’ancien pubart « assiste » le grand dessinateur sans que son nom ne soit crédité en tant que tel. A peine s’il est mentionné comme « collaborateur ». D’autres avant Sokal ont revendiqué une paternité acharnée sur des œuvres qu’ils ne concevaient plus totalement – Jacques Martin en tête – mais peu ont à ce point nié le travail de leurs dessinateurs. Même si le nom de feu Jacques Martin trône toujours sur les couvertures d’Alix, les noms des scénaristes et dessinateurs y figurent aussi. Sur les Canardo, non. Il n’y a que le nom de Sokal qui apparaît en couverture, alors que le travail de Regnauld est plus que conséquent. N’en déplaise à certains d’ailleurs, qui regrettent l’ère pré-La Fille qui rêvait d’horizon, lorsque Sokal assurait encore seul l’élaboration de chaque album et qu’il vivifiait chaque planche de son trait de génie. Pascal Regnauld est bon. Très bon, même. Mais il arrive à peine à la cheville du Sokal des premiers temps, dont les planches en noir et blanc sont tout bonnement à couper le souffle.
Trêve de nostalgie. Canardo semble avoir emprunté depuis une dizaine d’années une nouvelle voie, à deux bandes celle-là, même si aucun panneau ne l’indique, ou alors caché derrière un épais buisson d’orgueil. Qu’à cela ne tienne, on continue de trouver la patte de Sokal dans les dialogues parfois encore jouissifs, si elle ne s’applique plus au dessin.
La trentaine bien passée, le détective assoiffé tient encore debout. Et les lecteurs sont toujours au rendez-vous. Preuve que l’auteur et son personnage ont la plume dure…
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