Si Gustave Borjay vous demandait, là, à brûle-pourpoint, de trouver un mot ou bien une expression dont le sens ne puisse être en lui-même qu’un mensonge, que diriez-vous ? Déjà intimidé par le regard du Maître, vous balbutieriez quelques syllabes décousues, cherchant désespérément un mot de plus de dix lettres dont vous n’avez jamais réussi à comprendre le sens.
« Nonobstant ? Impéritie ?
— Non.
— Présidence normale ?
— Vous faites du mauvais
esprit.
— Développement durable ?
— Vous vous rapprochez, mais ce n’est pas ça.
— …
— Vous n’êtes pas au niveau. Je vais
encore devoir vous venir en aide. »
Et c’est ainsi que, sous votre attention éperdue, l’Auteur vous énonce l’intrinsèquement fallacieuse expression : « qui ne se prend pas au sérieux »
Cette expression, poursuit-il avec un aplomb formidable d’intelligence, cette expression est proprement fascinante dans l’usage qu’en font nos contemporains. Lorsqu’on l’entend, on peut
immédiatement déduire de l’objet visé :
- qu’il a conscience de sa valeur, mais sait savamment paraître la garder pour lui ;
- qu’il se livre à des facéties provoquées par une spontanéité dont on se refusera à questionner la sincérité ;
- que s’il est âgé, il flirte dangereusement avec une insidieuse puérilité, lorgnant elle-même sur une non moins insidieuse ringardise – mais bien sûr en évitant avec maestria ces deux écueils.
Ce ne sont bien sûr que des conclusions provisoires, qui serviront cependant de réceptacle idéal pour d’autres constatations du même acabit, poursuit l’Écrivain, implacable dans son analyse dont, plein de modestie, il ne perçoit pas tout le génie.
Mais ce qui est intéressant, continue-t-il avec cette sagacité qu’on ne pourra jamais lui enlever, c’est que le locuteur même qui emploie l’expression dont il est question, eh bien nous pouvons
aussi lui dresser un début de portrait :
- il a un goût certain pour le bon français ;
- il évite toute vision stéréotypée des caractères ;
- il aime les personnages qu’on a envie de viser par ladite expression, ou bien il estime en faire partie – ce qui inclut la première condition.
« Bref, conclut l’Homme de lettres, si vous entendez A proclamer que B ne se prend pas au sérieux, ayez quant à vous le sérieux de vous rappeler mon enseignement, et faites à A comme à B l’honneur de ne pas les prendre plus au sérieux qu’ils le prétendent.
Fuyez. »
Gustave Borjay vous salue.
Comme vous avez pris le temps de lire cet article complexe,
Gustave Borjay vous offre de bonne grâce une photo
qui ne se prend pas au sérieux.