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Quand il n'y a plus de mots

Publié le 08 janvier 2013 par Bizz
Vous ai-je déjà parlé du coup de chance que j'ai eu, il y a un peu plus de 2 ans? À l'époque, je cherchais en vain une garderie correspondant à mes horaires atypiques et saisonniers. J'avais été traumatisée, et Bébé fille aussi, par une première expérience qui s'était avérée désastreuse. Une connaissance m'avait alors référée à l'éducatrice s'occupant de ses deux filles.
Mon coup de chance, ce fût cette éducatrice: Ghislaine.
Ghislaine avait l'âge de la retraite ou presque. D'ailleurs, son mari avait lui-même pris sa retraite. Une chouette garderie, dans un milieu chaleureux et familial, je n'aurais pu rêver mieux.
Ghislaine, c'était l'éducatrice idéale: pleine d'une tendresse unique, d'une douceur incomparable, d'une patience infinie. Vous savez, ce genre de femme à qui l'on confie nos enfants les yeux fermés. Elle connaissait bien chacun des enfants sous sa garde, leurs forces et leurs faiblesses, leur capacité d'apprentissage, leurs limites. Ensemble, elle et moi, nous éduquions Bébé fille, puis Bébé fiston quand ce fût son tour. Nous avions des méthodes différentes, mais nous discutions régulièrement ensemble pour s'assurer que nos buts étaient les mêmes. Nous franchissions ensemble les étapes, dans le respect mutuel des pratiques de l'autre. Jamais je n'ai eu la désagréable impression de «parker» mes enfants à la garderie pour aller travailler. Non. Ghislaine faisait partie de notre routine familiale.
Au fil des mois, j'ai aussi appris à connaître son mari, Jules. La même tendresse l'habitait. Un homme travaillant, doux, sympathique. Quand j'allais porter ou chercher les enfants, je rigolais avec lui, sur tout et sur rien. Il avait toujours le mot pour rire, pour taquiner les enfants. J'avais envers lui la même confiance absolue.
Mes enfants les aimaient. Ils aimaient mes enfants. Et moi, j'aimais beaucoup Ghislaine et Jules.
Au début de l'été, Ghislaine m'a annoncé qu'elle fermait sa garderie. Elle voulait le faire depuis des années. Après avoir passé tant d'années à prendre soin des enfants des autres, il était temps pour Ghislaine de prendre soin d'elle, de son mari, de ses enfants et petits-enfants. J'ai eu un choc. Suivi d'une crise d'hyperventilation. Nah. J'exagère. J'ai eu un bref instant de panique, certes, mais j'étais heureuse pour Ghislaine qu'elle prenne enfin du temps pour elle.
Les mois ont passé et à la fin de l'été, mes enfants ont dit un dernier aurevoir à Ghislaine, qui s'est empressée de me dire de passer faire un tour quand bon me semblerait. Sur le chemin du retour, j'ai pleuré discrètement, ce qui a bien fait rigoler l'amoureux quand je lui ai raconté les adieux, plus tard dans la soirée.
Les semaines ont passé, mes enfants ont appris à connaître une nouvelle éducatrice (toute jeune et géniale elle aussi, en passant). Ghislaine ne faisant plus partie de la routine, il était difficile de trouver du temps pour aller la voir.
Un soir, l'amoureux est revenu du travail, un regard triste au visage. J'ai pleuré quand il m'a raconté pourquoi. Jules était à l'hôpital. Quelques semaines après la fermeture de la garderie, on lui avait découvert une tumeur au cerveau. J'ai trouvé la vie chienne en sacrament.
«Hey, pouffiasse de vie, c'était vraiment nécessaire, ça?»

*****   Aujourd'hui, je suis allée cogner chez Ghislaine et Jules. Jules était seul. Il avait la moitié du crâne rasée, là où ils ont opéré. Il balbutiait pour m'expliquer qu'à cause de sa tumeur et de l'opération, il avait beaucoup de difficulté à parler. Il avait les yeux plein d'eau. Et moi, j'avais cette boule énorme au ventre, cette envie furieuse de crier que c'était injuste, que j'avais tellement de peine pour lui, pour Ghislaine.   Je me suis contentée de retenir mes larmes violemment, de lui demander s'il avait passé de belles fêtes, si le moral tenait bon malgré tout.   Il a dit «Non».   Je n'ai pas su quoi répondre. Je suis nulle comme ça.

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