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Jean-Louis Fournier s'agace

Publié le 17 janvier 2013 par Rolandbosquet

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   Deux bouts de ficelle, un clou rouillé, un bouchon de liège (tiens, que fait-il ici ?), un bouton de rose en graine, la poche d’un jardinier recèle souvent mille trésors. C’est qu’il doit toujours être en mesure de raccrocher ici une branche endommagée par le vent, de réparer là une clôture de châtaigner rompue par le passage d’un renard, de rafistoler ailleurs la cache d’un écureuil bousculée par une grive affamée. Le jardinier est toujours un peu bricoleur. Tout comme le plus modeste des écrivains lorsqu’il s’assoit devant son ordinateur. Car écrire, qu’est-ce d’autre que rassembler cahin-caha des mots, des sensations, des images et les jours fastes des idées et de tenter de leur donner un sens ? Ce n’est pas Jean-Louis Fournier qui me contredira avec son "Ça m’agace". Il a enfoncé sur ses yeux son vieux chapeau de grincheux des mauvais jours, s’est employé à recenser à la manière d’un Philippe Delerm quelques petits travers de notre société et a disserté à leur sujet avec la mauvaise foi qu’on lui connaît. Ainsi, selon lui, les musiciens du métro parisien joueraient faux. C’est possible ! Je ne saurais juger du contraire car le métropolitain de ma campagne (on l’appelait alors le trolley) a été abandonné en 1948. Par contre, il est vrai que la voix du serveur vocal du téléphone n’est guère plus chaleureuse que celle des choucas qui traversent mon courtil les jours de grand vent. Les responsables devraient faire appel à la dame du GPS dont l’organe est bien plus mélodieux, même si sa conversation est tout aussi limitée. Jean-Louis Fournier n’a pas tort non plus au sujet des moustiques, de la disparition des clés de boites à sardines et de la presse "people". Et on pourrait, à la campagne tout autant que lui à la ville, paraphraser Nicolas Boileau et son "Qui frappe l’air, bon Dieu ! de ces lugubres cris ?". Qui n’a pas maugréé quelque jour contre le citadin qui joue de la débroussailleuse autour de sa maison de week-end à l’heure de l’apéritif en terrasse ? Qui n’a pas rouspété contre le petit-fils attentionné qui  distribue en tous sens et à l’heure de la sieste avec sa « machine qui fume, qui pue et fait un bruit d’enfer » les feuilles mortes des marronniers qui bordent le jardin de son vieux Papy parti à l’hôpital ? Qui n’a pas ronchonné à l’adresse du digne paysan qui entraîne son troupeau de moutons dès l’aube blêmissante sous le prétexte que l’herbe est plus verte ailleurs ? Qui n’a pas vitupéré en silence en entendant les joyeux motards faire pétarader leurs engins de randonnée sous la fenêtre alors qu’on écoute religieusement Anne-Marie Dubois interpréter la "Prédication aux oiseaux " de Franz Liszt ? Sans oublier les tracteurs et autres engins agricoles en période d’ensilage ou de moisson, les avions de chasse de l’armée qui s’amusent comme des gamins à se poursuivre à grand renfort d’accélérations et les hélicoptères du Samu, de la Gendarmerie et de la Protection civile qui dansent un ballet endiablé au-dessus de votre tête. En fait,  Monsieur Fournier, nous autres rats des champs qui vivons retirés dans nos vallées perdues au cœur des Monts rencontrons les mêmes désagréments que vous, les rats des villes. Et  l’ineffable principe de précaution n’est pas le dernier. Même s’il est tout de même plus prudent, si l’on ne veut pas se mouiller les pieds, de chausser des bottes de caoutchouc plutôt que des sabots de bois lorsque l’on envisage de baguenauder dans les herbes hautes alors que le pâle soleil du matin n’a pas encore absorbé la rosée de la nuit. Mais comme vous le conseillez, il faut savoir passer outre. Sinon, comme tout vieux bougon qui se respecte, vous négligeriez d’ouvrir ce "Ça m’agace", subodorant y retrouver les inévitables récriminations qui vous taraudent les jours de pluie, lorsque vos vieilles douleurs tordent vos os. "Où on va papa ?" était un livre essentiel. "Veuf" était sans doute nécessaire. Était-il indispensable de bricoler ce nouvel opus ? Si l’on ne tient compte que du sourire qu’en apporte la lecture, la réponse est évidemment oui. Et, somme toute, ce n’est déjà pas si mal ! (© Roland Bosquet)


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