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J'ai fait un rêve

Publié le 20 décembre 2012 par Rolandbosquet

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   Le hasard, cette fois, a bien fait les choses. Il a sorti les numéros que j’avais cochés pour faire comme tout le monde à l’issue d’un déjeuner fort peu frugal en compagnie de mes vieux amis du Céladon dans une modeste auberge de village de la région.

_Vous avez gagné, m’assure le directeur de la Grande Loterie qui organise le tirage. Cent soixante huit millions sept cent quatre-vingt douze mille quatre cent vingt cinq euros et douze centimes. Que comptez-vous en faire  ? Vous acheter une belle maison ?

_J’ai déjà une maison bien au calme dans une vallée perdue au cœur des Monts, au milieu d’un courtil planté de chênes et de châtaigniers et peuplé d’écureuils et de mésanges. Elle me convient très bien.

_Vous pourriez bien sûr placer votre gain à la banque. Avec un taux d’intérêt de seulement deux pour cent, vous toucheriez déjà près de trois millions deux cent mille euros de revenus par an. Mais vous paierez beaucoup d’impôts !

_Autant dépenser l’argent tout de suite, parce qu’il n’est pas question que j’aille habiter avec les Delon, Aznavour et autres Yannick Noah. 

_Comme vous y allez ! Il ne s’agit pas de dépenser mais d’investir.

Les petites cellules grises de mon cerveau tournent à grand régime. Des milliards d’éclairs bleutés courent allègrement le long des synapses, sautent de neurone en neurone à la vitesse de la lumière, bousculent les idées reçues et chavirent les habitudes. Pensez ! 168 792 425,12 euros !

_Je pourrais en effet racheter les Hauts Fourneaux de Fleurange par exemple ou bien Peugeot.

_Vous n’avez pas assez. Mais je connais des entreprises qui recherchent des capitaux.

_D’accord ! Mais pas que des canards boiteux non plus. Parce que je ne vois pas l’intérêt de jeter l’argent dans des puits sans fond.

_Vous ne toucheriez pas d’intérêts, c’est sûr. Mais vous ne paieriez pas d‘impôts non plus.

_Ce n’est tout de même pas le problème si mon apport peut permettre au personnel de se reconvertir…

_C’est à l’État et aux partenaires sociaux de se charger de cela, pas à vous.

_S’ils sont licenciés et qu’ils ne retrouvent pas de travail, il arrivera un jour où ils ne toucheront plus les indemnités de chômage.

_Là, ce sera aux associations de s’en occuper.

_Alors je vais donner aux associations.

_Comme particulier, vous paierez des impôts, des patentes, des taxes, des contributions à ceci et des contributions à cela sans oublier les frais de dossier de conversion, d’enregistrement, d’immatriculation, d’archivage, de classification, d’entreposage que sais-je. À la fin, il ne restera plus grand chose.

_Alors j’investis dans des entreprises du bâtiment pour construire des logements sociaux.

_Il faudrait d’abord acheter des terrains à bâtir. Et des terrains à bâtir, il n’y en plus en ville. Et les gens ne veulent plus aller habiter à la campagne où il y aurait de la place à cause des déserts médicaux.

_Alors, j’investis dans des startups en informatique. C’est une bonne idée, non ?

_Les startups en informatique ne s’installent plus en France, monsieur. C’est trop compliqué. Vous en avez pour cinq ans avant de voir votre dossier accepté par les administrations. De plus, c’est très risqué parce que, à la revente, vous paieriez un maximum d’impôts.

_Alors j’investis dans des startups françaises installées à l’étranger et qui font travailler des ingénieurs français.

_Vous savez, en général, les ingénieurs préfèrent être payés à l’étranger. Les charges sociales et les impôts, vous comprenez…

_Alors,  j’achète l’hôtel particulier de Gérard Depardieu rue du Cherche-midi et je le donne à madame Duflop pour héberger ses sans-abris.

_Si vous n’êtes pas évêque, vous ne pouvez pas !

Je vais rétorquer que, vu mon âge, il est trop tard pour songer à devenir évêque lorsque le téléphone sonne. Le temps de m’ébrouer et la sonnerie s’arrête. Je jette un regard dehors. Il pleut encore. À la radio, Ivry Gitlis achève  la "Méditation de Thaïs" de Jules Massenet. J’ajoute une bûche dans la cheminée. César, mon chat-donné, vient se frotter contre ma jambe en baillant. En fait, c’était un rêve ou un cauchemar ? (© Roland Bosquet)


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