Magazine Journal intime

L'abomination française

Publié le 21 novembre 2012 par Alainduneuftrois

Le mariage de couples homosexuels et leur capacité à adopter face à une France qui sort enfin de son placard
En tant que juriste, il convient à titre liminaire de rappeler l'article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui, sauf erreur de ma part, est toujours en vigueur et fait encore partie du bloc de constitutionnalité. Parfois assez oisif en cours, il peut m'arriver de laisser filer un détail, mais je pense pouvoir mettre avec une certaine sérénité mon intimité à couper si je me trompe.
Il dispose ainsi:
"Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune"
Forts de la surabondance de textes en droit français, soyons fous et vivons dangereusement, solidifions notre argumentaire avec l'article 1er alinéa 1 de la Constitution de 1958:
"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée."
(Les passages cruciaux sont en caractères gras, car leur rappel ne semble clairement pas aller de soit)
Venons en à la teneur du propos et résumons préalablement et rapidement les faits de l'espèce:
La France, pays des droits de l'homme (à prononcer avec un ton empreint de sarcasme) est en voie de conférer un statut légal aux couples homosexuels en leur donnant accès à une institution républicaine et j'ai bien dit REPUBLICAINE... Le mariage. Il leur permettrait également, sous réserve des mêmes contraintes que les couples hétérosexuels, d'obtenir le droit à l'adoption.  Le projet de loi est déjà passé en revue au conseil des ministres et sera en toute vraisemblance voté début de l'année 2013, le gouvernement socialiste s'étant saisit de la question assez rapidement en souhaitant légiférer par voie d'ordonnance.S'en est suivit des vagues de manifestations, en opposition au projet, organisées par diverses associations jusque là inconnues du grand publiques (citons l'Alliance Vita, la Vie, Civitas, l'Association des Familles Catholiques etc.) avec la collaboration active et ce sans grande surprise des représentants des trois religions monothéistes.
Leur argumentaire repose essentiellement sur le respect de l'institution du mariage et la protection de l'enfant. Ils arguent que l'ouverture du mariage aux couples homosexuels dénaturerait cette institution millénaire, que les enfants adoptés par ces couples seraient discriminés et leur conception des parents serait brouillée par la présence de deux personnes du même sexe dans le foyer. Pour plus de précision, voici un lien vers le tract d'Alliance Vita:   http://tinyurl.com/cdut5z2
Dans un genre plus exotique, Serge Dassault, propriétaire de la publication quotidienne "Le Figaro" et Sénateur UMP de l'Essonne nous honore de ses reflexions les plus érudites en la matière :"On veut d'un pays d'homo? Dans 10 ans y'a plus personne c'est stupide (...) L'homosexualité participe à la décadence de la Grèce"
Je ne m'attarderai pas un instant sur ces propos dont je vous laisse le soin d'apprécier l'intérêt certain qu'ils portent à l'élévation du débat national.
Ce que je trouve assez vicieux, c'est l'évolution qu'a prise la xénophobie, la haine et l'intolérance. Auparavant claire et sans complexe, elle est maintenant, sous couvert de la sainte protection de l'enfant, de l'ordre social, de l'identité et autres moyens plus hypocrites les uns que les autres, bien plus roublarde et subtile. On l'a remarqué aux dernières élections avec un Front National dédiabolisé, accessible, presque légitime qui aura fait son meilleur score chez les 18-25 ans, tranche d'âge classiquement modérée. On le remarque aujourd'hui avec la véhémence avec laquelle certains s'opposent à ce projet de Loi.La faute à une société bien-pensante qui ne tolère plus les indécences publiques de ce genre, il a fallu pour eux s'adapter à ce nouveau mode de communication, et le constat est qu'il fonctionne à merveille. Les plus bas sentiments sont devenus légitimes sur la place publique, ils se sont banalisés au point de devenir des arguments valables.
Mais au fond de nous même et parfois sans vouloir nous l'avouer nous savons quelle est la véritable teneur de leur propos, nous savons la haine et le rejet qu'ils portent dans leur coeur, qu'à demi mot ils voudraient en revenir à un régime traditionnel où l'homosexualité serait régie par leur textes religieux. Des textes qui la qualifient d'abomination.
En sommes-nous restés au Moyen-âge?
En premier lieu, s'agissant du mariage:
A ceux qui affirment encore que les couples homosexuels peuvent déjà obtenir le bénéfice du PACS et que l'introduction du mariage est inutile, je leur rappelle que cette union civile est contractée par une infime minorité des couples du même sexe. Pourquoi? Car elle représente une insulte. On se croirait au temps de l'occupation Allemande où les juifs pouvaient circuler à la condition qu'ils n'empruntent pas les trottoirs. Le PACS pour les couples homosexuels n'est pas digne d'une République qui se veut égalitaire, elle oblige cette minorité à emprunter une route inférieure au cours de leur vie. Le PACS ne confère pas aux personnes unies les mêmes droits et privilèges que de véritables époux.A croire que la population homosexuelle de ce monde n'a pas été suffisamment stigmatisée à travers l'histoire de l'humanité, rajoutons en une couche en 2012, rappelons leur l'infériorité de leur condition si jamais ils l'auraient oublié. Rappelons leur l'intolérance que nous avons pour eux, le dédain et le dégoût à peine caché que nous éprouvons à leur égard.
C'est un sentiment de honte qui m'envahit quand je constate qu'aujourd'hui certains de nos concitoyens nous révèlent leur véritable nature.
Interdire le mariage aux homosexuels car ils dénatureraient l'institution du mariage? La faiblesse de l'argument peine à se cacher quand il s'agit de passer en revue le nombre de divorces, de familles recomposées, de familles monoparentales.Soyons honnêtes avec nous même un court instant...La dynamique et la réussite d'un couple marié est d'une complexité que personne ne peut réellement comprendre car elle touche à l'amour que les époux éprouvent l'un pour l'autre. Qui sont ces personnes pour penser que des homosexuels seraient incapables de s'aimer autant que des hétérosexuels? En dehors de leur sexualité, ils nous sont identiques. Nous partageons les mêmes aspirations, les mêmes peurs; en somme la même condition humaine qui est remplie d'autant de bonheur que de déchirement.S'ils se marient, ils subiront les mêmes anxiétés et contraintes que nous car ils sont comme nous.Ces religieux, intégristes ou non, à la sexualité réprimée depuis des millénaires ne voient dans l'homosexualité que la sphère sexuelle. Pour eux, gays et lesbiennes ne seraient définis que par leur orientation sexuelle, la leur étant tellement refoulée qu'ils deviennent obnubilés par le sujet.Je vous assure que la plupart de mes amis homosexuels préfèrent se définir par rapport à leur travail, leurs créations, leur personnalité plutôt que la préférence qu'ils ont pour un vagin ou pénis. Ce serait les réduire à des obsédés, ce qu'ils ne sont pas.
En second lieu, s'agissant de l'adoption par des couples homosexuels:
Ce n'est qu'ici où je pourrais concéder un semblant de légitimité à l'argument qui voudrait l'interdire. Il est vrai que la question doit se poser, comme il l'est d'ailleurs toujours devant les juridictions françaises, de l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est une expression que l'on retrouve dans toutes les décisions judiciaires et dans les textes qui régissent notre pays.
Prenons l'exemple d'un enfant, mis à la DASS que ce soit à la naissance ou même plus tard. Imaginons un instant, à supposer que nous y parvenions, le désarroi psychologique dans lequel celui-ci se trouve. Plus de parents, plus un seul repère, complètement perdu et livré à lui même.
Une étude de 1997 de l'Université de Makarere à Kampala (Ouganda) a conclut que la condition d'orphelin  engendrait un facteur de risque 3,5 fois plus élevé à subir des désordres psychologiques de toute nature. La susceptibilité, l'anxiété, la dépression, toutes sont accrues.De nombreuses autres études provenant de l'Université d'Oxford, de l'UNICEF, des autorités coréennes et roumaines concluent exactement la même chose.
Revenons en à l'intérêt supérieur de l'enfant voudrez-vous?Si nous ne nous référons qu'aux propos des opposants à l'adoption, à supposer que grandir avec deux parents du même sexe soit néfaste ce qu'aucune étude n'a à ce jour prouvé, il serait mieux pour les orphelins de subir ces désordres psychologiques plutôt que d'être adoptés par un couple qui les aime?Un couple homosexuel qui se sera battu autant qu'un couple hétérosexuel (la procédure d'adoption plénière est strictement encadrée et peut prendre des années) pour adopter un enfant aurait-il moins de mérite?
Voyez l'hypocrisie du moyen tiré de l'intérêt supérieur de l'enfant...
Quand aux discriminations que subiraient ces enfants du fait de leur parents homosexuels, nous avons tous été au collège, nous avons tous été moqués à un moment ou un autre, que ce soit sur nos origines, notre corpulence, nos habits. L'école est un environnement impitoyable pour tous, et le fait d'avoir des parents homosexuels ne change rien. A l'école, peu importe la différence que nous portons, nous subissons tous d'une manière ou d'une autre, à un moment ou un autre. C'est une étape douloureuse mais indispensable à notre construction personnelle.
Personnellement, j'ai eu la chance de grandir avec mes deux parents qui m'ont toujours aimé et pour rien au monde je ne l'aurais échangé pour la condition d'orphelin.
Le rêve de tout orphelin est un rêve qui ne peut pas se réaliser: retrouver ses parents. C'est un rêve qui leur est dû, mais que les circonstances de la vie leur ont volé de façon irréversible, un trauma que rien au monde ne saurait véritablement guérir et une tristesse qu'aucun de nous privilégiés ne pourrait jamais imaginer.
Leur permettre d'être adoptés, c'est leur donner la possibilité et la chance de se reconstruire, de vivre une vie qui leur a été refusée, de se sentir aimé par des parents, de sentir le toucher d'un père ou d'une mère remplit d'affection, de vivre dans un cadre équilibré, de ne plus être une pariah dans la société.Les adopter, c'est à nouveau les inclure dans notre monde et les sortir du leur qui est un monde de solitude et d'angoisse perpétuelle.
Qui sont ces gens pour leur refuser cela? A quel titre osent-ils leur interdire cette chance?Qui sont ces religieux, à qui le mariage et les relations sexuelles sont interdits, pour nous prêcher la sainte parole sur un sujet sur lequel ils n'ont aucune expérience?
Pour ceux qui ne se sentent pas concernés par ce débat, car ils sont hétérosexuels, je vous laisse avec une citation de Martin Niemöller:
When the Nazis came for the communists,I remained silent;I was not a communist.
When they locked up the social democrats,I remained silent;I was not a social democrat.
When they came for the trade unionists,I did not speak out;I was not a trade unionist.
When they came for the Jews,I remained silent;I wasn't a Jew.
When they came for me,there was no one left to speak out.

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