En attendant le site tant promis, et après le partage de la méthodologie que j’ai utilisée pour mon mémoire, je vais enfin parler du sujet de ce dernier.
Si tu m’avais dit il y a deux ans que je serais aujourd’hui une forme de spécialiste du déchet et des poubelles en herbe, je pense que je t’aurais pris pour un fou. C’est pourtant ce qui arriva.
À partir d’une question presque idiote tant on est pas habitué à la poser, je fus plongée dans une masse d’informations absolument passionnante et pour laquelle je ne portais aucun intérêt à peine quelques semaines avant de commencer mes recherches. La fameuse question était alors : peut-on jeter sur Internet ?
Cela aurait pu être le plus gros fail de ma scolarité
Mal formulée, succinte, peu précise, cette phrase était écrite sur un bout de feuille volante car j’étais assez en retard dans le choix de mon sujet de mémoire. Question idiote venue « comme ça », et question que je ne trouvais pas fameuse tant la tendance numérique posait plutôt la question inverse, soit celle du stockage et de la conservation de la mémoire.
Le droit à l’oubli, je m’en fichais, c’était alors pour moi une variable absolument mineure de ma question et mes recherches l’ont confirmé. Pour tout vous avouer, j’ai totalement flippé devant ce thème de recherche, surtout lorsque Vincent Lemire me dit que des études en ce sens n’existe pas encore et que d’autres semblent dire que je pars dans tous les sens sans grande cohérence. Car voilà le vrai risque lorsqu’on t’a dit que tu avais potentiellement le sujet de l’année : la pression, le manque d’historique sur lequel se reposer ; ça peut autant être un succès qu’un fiasco complet.
Pour ma part, ce fut un succès, au prix d’heures de travail que je n’ose pas vous communiquer, et au prix d’une obsession complète pour tout ce qui se rapproche de près ou de loin à l’idée de déchet durant une année entière (et encore maintenant). Dorénavant, lorsque je rencontre de nouvelles personnes de la sphère numérique, on – surtout Richard Malterre l’homme le plus sexy de la blogosphère technologique - a tendance à me présenter ainsi : c’est Syphaïwong Bay, elle a un blog qui a gagné un award, et elle a fait un mémoire sur les poubelles. Je suis donc en quelque sorte Madame Déchet du Web.
Les recherches commencent
Une rue de New York en 1911
Ce qui va suivre, c’est à peu de choses près ce que j’ai raconté lors de ma soutenance de mémoire devant Vincent Lemire et Christophe Aguiton. Je ne vais pas raconter ce qu’il y a écrit dans mon mémoire, mais je vais vous raconter mon chemin de pensée et comment j’ai finalement réussi à structurer toutes ces idées. Je vous épargne les références bibliographiques, et je me ferai un plaisir de fournir le PDF de mon mémoire à la demande aux personnes intéressées. :-)
Une fois le thème trouvé, il faut que je trouve un angle d’attaque. J’ai alors choisi celui de l’anthropologie ou surtout celle de l’anthropologie de comptoir s’il en existe une. J’ai choisi de prendre le parti de considérer le concept d’objet numérique. Tout est un objet numérique : un fichier, une ligne de code, une information, une image, une page Web, un site, un réseau de site… C’est pour simplifier mes analyses et me concentrer sur la constitution d’une typologie qui concernera vraiment la notion de déchet. Ensuite, cet objet numérique est analysé par mes soins en le comparant à l’objet physique. Les deux concepts sont opposés mais considérés comme frères.
Le déchet Web : Jeter, conserver, et recycler le duplicable
Bien que j’avais déjà une forte liste de choses qui pouvait entrer dans la notion de déchet numérique, que j’avais commencé à classer, je ne me suis pas précipitée dans leurs analyses précises pour d’abord tenter de comprendre la formation du déchet dans sa globalité : physiquement, psychologiquement, anthropologiquement. J’ai également entrepris d’étudier le vocabulaire du déchet en français et en anglais : jeter, effacer, supprimer, poubelle, déchet, trash, garbage, trashcan, delete…
Mes recherches m’ont en conséquence menée à l’étude de l’abject d’un point de vue sanitaire, morale, religieux, éthique… Ce sont autant de notions qui m’ont permise de comprendre pourquoi, à un moment donné, on considère que cet email est un spam et que l’autre n’en est pas un.
Ainsi, j’ai entamé des recherches sur la vie d’un objet pour identifier l’objet, le déchet, le grenier, la brocante, la notion de seconde-main… tous ces éléments m’ont aidée à analyser le déchet numérique conservé dans une corbeille, supprimé ou jamais réellement supprimé. Bien-sûr, tout ce que je raconte là est terriblement incomplet. De la même manière, j’ai mis les pattes dans un peu d’urbanisme pour pouvoir suivre le chemin du déchet dans la ville et voir si les concept associés pouvaient s’appliquer au déchet numérique. Parfois oui, parfois non.
Mais comme on peut s’y attendre, j’ai pris le temps de me plonger dans la naissance de la poubelle car cette dernière n’est pas si anodine. Ce n’est pas une notion si évidente que de mettre dans une boîte ses déchets et encore moins de les cacher.
Après avoir étudié en détail des dizaines d’exemples de phénomènes numériques pouvant entre dans les catégories conserver (grenier), jeter (déchet), ou encore ruines, j’ai pensé à ce qu’allait devenir tous ces objets numériques jetés, mis de côté, conservés, abandonnés… C’est ce qui a nourri ma dernière partie conservée à l’archéologie en prospective, car il est fort probable que tout ce que nous produisons comme données numériques à l’heure actuelle et que nous oublions sur un coin de table soient les sujets même d’étude par les futurs chercheurs. Il existe déjà tellement d’outils d’analyse de données et de flux que cela ne serait pas bien étonnant.
Une bonne centaine de pages rédigées plus tard, j’en suis venue à l’idée que le réel point en commun entre le déchet physique et le déchet numérique était l’abandon de sa gestion. Une fois l’objet jeté ou oublié, on ne s’en occupe plus et on laisse une entité tierce s’en occuper. C’est ainsi que ce qu’on cache dans sa poubelle (seulement caché) est considéré comme n’existant plus alors qu’il est bien là, et que le fait de le mettre devant sa porte est en réalité le confier à quelqu’un d’autre pour qu’il s’en occupe. Pour le déchet numérique.
Enfin pour répondre à la question « comment jeter sur Internet ? », mon idée est que pour séparer les éléments et en isoler un, il faut détruire les liens hypertextes. Quand j’enlève une image de mon blog, je ne fais qu’enlever le lien entre la page et le fichier image, il est pourtant toujours présent dans le répertoire qui l’héberge. Il y a bien des nuances entre jeter, supprimer, effacer, et détruire, et c’est une chose qu’a bien compris le gouvernement américain lors de la saisie des serveurs de Mega Upload l’an dernier.
Vous le devinerez, je peux en parler durant des heures car il est au finalement au centre de toutes les actions de notre sphère numérique, à l’heure où on se demande comment stocker et archiver toutes nos données. Si avec la loi de Moore on aurait tendance à penser que les capacités de stockage vont évoluer au moins au même rythme que nos données, nous avons pourtant ce besoin de jeter et de trier ne serait-ce que par organisation et c’est ainsi qu’on indexe avec des mots-clefs et autres métadonnées nos informations pour réussir à les retrouver.
Si vous voulez qu’on en parle un peu plus, je vous conseille de poser une journée, je peut être très bavarde. :-D
C’est bien dommage qu’un mémoire s’achève par la soutenance, car plus j’y pense et plus je pourrais le continuer. J’aurais du faire de la recherche.
1ère de couverture, 4e de couverture
Table des matières
Table des matières, page 2 et 3