Cyrano de Bergerac

Il y a quelques mois de cela, j'avais pris des places pour " Cyrano de Bergerac" mis en scène par Dominique Pitoiset avec Philippe Torreton.
Il était inenvisageable que je loupe une telle occasion ! Cyrano, la plus belle pièce de la langue française et Torreton, acteur hyper talentueux...
La seule inconnue que j'avais concernait la mise en scène. C'est compliqué de mettre en scène une pièce si célèbre, tant de fois interprétée en renouvelant l'oeuvre sans aller jusqu'à la trahir pour dire qu'on a innové.
Et, effectivement, quand je suis arrivée, le décor d'hôpital psychiatrique m'a laissée quelque peu dubitative.
Heureusement, la suite m'a largement détrompée.
Oui, la mise en scène ultra contemporaine déroute (j'avoue que le " à la fin de l'envoi, je touche" à coup de fer à repasser dans la tête, ça surprend... Si, si, je reconnais !) mais elle offre également une vision nouvelle de la psychologie des personnages et puis la beauté sublime des vers d'Edmond Rostand entraîne, emporte... Sans parler du jeu époustouflant des acteurs.
Oui, bien sûr la performance de Torreton, tour à tour violent, limite psychotique, classique dans ses émotions et jusque dans le costume d'époque au dernier acte, est phénoménale... On oublie le panache d'un Wéber et la fougue d'un Depardieu pour toucher du doigt l'Homme dans son " soi" le plus intime, le plus touchant, le plus humain.
Mais la troupe qui l'entoure n'est pas en reste !
Peut-être parce que je n'ai jamais aimé le personnage de Roxane, j'ai aimé ce que Maud Wyler en a fait : elle ne fait pas Précieuse mais la superficialité de son caractère n'en apparait pas moins dans sa façon de courir, dans un côté un peu enfantin.
De Guiche n'est pas superbe dans sa grandeur de haut dignitaire jaloux, il est frêle, mesquin, pernicieux.
Christian est Christian... Malheureusement pour lui, le rôle est tel qu'il n'y a pas grand chose à en dire mais Patrice Costa aura était fade avec talent.
Quant aux sept acteurs qui enfilent tour à tour les textes de tous les autres personnages, il y avait en eux quelque chose d'un choeur dramatique antique, une aptitude à se couler dans chacun de leur personnage impressionnante.
Personne ne s'y est trompé, cela se joue à guichets fermés et la salle était debout, comme, paraît-il tous les soirs (j'ai un espion dans la place qui me l'avait dit !).
Pour ma part, je ne surprendrai aucun de vous en vous annonçant que je suis sortie les yeux embués et la tête pleine de ces si beaux vers !

Mon seul regret (il faut bien que je trouve à critiquer, tout de même !) : la tirade de l'acte 4 au siège d'Arras. C'est un texte qui me bouleverse tellement que son traitement décalé m'a gênée...
Allez, juste pour le plaisir, voici le texte (je n'ai pas trouvé d'extrait vidéo...) :
" Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger ;
Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres,
Souffle et joue à ce tas de goinfres et de piffres
Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur,
Dont chaque note est comme une petite soeur,
Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées,
Ces airs dont la lenteur est celle des fumées
Que le hameau natal exhale de ses toits,
Ces airs dont la musique a l'air d'être un patois !...
Que la flûte, aujourd'hui, guerrière qui s'afflige,
Se souvienne un moment, pendant que sur sa tige
Tes doigts semblent danser un menuet d'oiseau,
Qu'avant d'être d'ébène, elle fut de roseau ;
Que sa chanson l'étonne, et qu'elle y reconnaisse
L'âme de sa rustique et paisible jeunesse !...
Le vieux commence à jouer des airs languedociens.
Ecoutez, les Gascons... Ce n'est plus, sous ses doigts,
Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois !
Ce n'est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres,
C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !...
Ecoutez... C'est le val, la lande, la forêt,
Le petit pâtre brun sous son rouge béret,
C'est la verte douceur des soirs sur la Dordogne,
Ecoutez, les Gascons : c'est la Gascogne !"

A bientôt !

La Papote

Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand
Mis en scène : Dominique Pitoiset
En tournée dans toute la France pendant les deux prochaines années